by @karine_dessale
Véronique Delacour Leblanc est directrice artistique au sein de l’Agence Alvérone. Elle conçoit notamment les vitrines des marques de Luxe, et explore ainsi cet espace commercial restreint, dont la destination pour ses interlocuteurs, est de se montrer sous ses plus beaux atours. L’enjeu est de taille. Et il est passionnant d’entendre la démarche artistique qui apprécie finalement la contrainte et le niveau élevé d’exigence. Parce qu’ils l’encouragent à explorer d’autres territoires, toujours plus éloignés d’une zone de confiance, cela en quête d’absolu. Le propos est riche, et la rencontre a du sens. Et si l’imaginaire et le beau étaient encore les meilleurs leviers, pour sortir notre monde de ses turpitudes ?
LCV Magazine : On a parfois l’impression, lorsque l’on observe vos installations et vos vitrines, que vos propositions sont à la croisée des chemins de l’Art plastique, du 7ème Art et d’un univers sensoriel intime prolifique… Comment parvenez-vous à juguler votre imagination et maintenir le juste équilibre dans vos projets ?
Véronique Delacour Leblanc : Lorsque j’imagine une mise en scène, j’essaie de faire vibrer tous les éléments qui la compose. Je la pense comme une recette de cuisine : proposer des matières appropriées, maîtriser le processus de fabrication pour mettre tous les sens en émoi. Puis j’ajoute ma sensibilité et la perception que j’ai du projet sur lequel je travaille. Au restaurant, l’assiette doit être appétissante et donner envie. Il en est de même en décoration. J’essaie de transmettre une émotion et faire voyager les gens dans un univers visuel éphémère.
LCV : Vos créations de merchandising sont très homogènes, lorsque vous évoquez – telle la dentellière -, le soin particulier que votre direction artistique apporte aux réalisations produites chez Alvérone : quelles sont les ressources (matériaux, éclairages…) que vous explorez en priorité ?
VDL : En priorité, je vais explorer le lieu et l’espace dont je dispose pour installer un décor. Je l’analyse comme en Feng Shui, car il est important à mes yeux qu’une bonne énergie circule dans les scénographies que je propose à nos clients. Le ressenti n’en sera que meilleur. Je vais analyser les plans techniques, tirer parti des avantages et faire des points négatifs une force. Après cette réflexion, je travaille les formes, les matières et la lumière. J’accorde une grande importance aux éclairages. Pour moi, ils font partie intégrante du décor, comme un photographe qui met en valeur son modèle.
Crédit Photo © Bruno Houdayer
LCV : Est-il essentiel de donner un souffle événementiel aux produits inanimés, et dans quelle mesure la scénographie peut les servir sans les étouffer ? Pourriez-vous nous narrer le cheminement de l’une de vos collaborations, qui illustrerait cette démarche ?
VDL : Oui il est essentiel de créer un souffle aux produits que je mets en scène. Ils sont statiques, ils ne parlent pas mais ils ont leur propre langage. Les gens le ressentent et c’est ce que je cherche à produire. Une pâtisserie ne va pas (influer) évoquer le même langage qu’un sac en cuir, et on ne va pas faire passer le même message. D’ailleurs, pour avoir collaboré près de quinze années avec un pâtissier japonais (la maison Toraya), nos cultures étant différentes, il a fallu que je me plonge dans de nombreux livres nippons pour m’approprier leurs différences et la manière dont les couleurs, les matières et les symboles sont exprimées. Par exemple, alors que chez nous le chrysanthème est une fleur qui renvoie une idée négative, car nous fleurissons les tombes avec, au Japon, il s’agit d’une fleur noble utilisée par l’Empereur ainsi que toute la famille impériale dont on retrouve le design dans des gâteaux de saison.
LCV : Est-ce que les attentes des marques positionnées sur le segment du Luxe sont fondamentalement différentes de celles des autres secteurs ?
VDL : Même si aujourd’hui chacun cherche à se démarquer de la concurrence, une marque positionnée sur le segment du Luxe va être plus exigeante et va chercher à être plus innovante, plus créative qu’une marque d’un autre secteur. Il faut sans cesse chercher des nouveautés qui n’ont pas été encore exploitées, apporter de nouvelles solutions techniques ou être visionnaire mais avec modération afin d’être compris par ses contemporains.
LCV : Est-ce que la collaboration avec des maisons de Luxe ouvre d’autres possibles créatifs et dans quelle mesure sont-ils disposés à entendre peut-être plus que d’autres segments économiques, des propositions innovantes, voire culottées ?
VDL : Encore plus que les autres secteurs économiques, les maisons de Luxe vendent du rêve à leurs clients et leurs proposent de vivre une expérience. Les codes sont différents aussi, car leur clientèle est blasée. Il faut donc parvenir à les surprendre et leur offrir le même enthousiasme qu’un enfant qui découvrirait une nouvelle émotion.
Crédit Photo © Bruno Houdayer
LCV : S’agissant de votre recommandation pour la maison Hermès, avec la fusée qui représente selon vous, “l’objet ultime, et associe le désir ancestral de voyager vers l’inconnu”. D’où vous est venue cette idée de « l’Odyssée » et quel en était le sens profond ?
VDL : Pour la maison Hermès, à travers “l’Odyssée”, je voulais transporter les gens dans une expédition fantastique et futuriste au delà de notre système solaire. Cette magnifique maison a toujours su mêler l’artisanat, la tradition et la modernité. Je voulais créer une métaphore illustrant la capacité de l’homme à repousser ses limites en faisant du cheval qui est le symbole de cette maison, un mode de transport futuriste, car c’est avant tout un cheval avant d’être une fusée. Pour apporter du corps à mon concept, j’ai choisi de travailler mon décor dans une couleur cuivrée pour lui apporter un caractère singulier. Cette couleur n’est pas ou si peu utilisée en événementiel, elle est noble et fait référence à l’univers de Jules Verne.
LCV : Par définition, il semblerait que le territoire imaginaire rechigne à admettre les frontières quelles qu’elles soient. Comment la créative que vous êtes parvient à travailler selon un brief, et pouvez-vous nous expliquer comment la contrainte transcende finalement le potentiel de liberté artistique, contrairement à ce que l’on pourrait penser ?
VDL : Bien saisir le brief est important, car il donne déjà des directives et ouvre le champs des possibles. A partir de ce moment-là, je définis mentalement l’ambiance que j’imagine pour le projet. Cette projection me permet d’identifier dans les détails tous les éléments dont je vais me servir. Comme les contraintes sont incontournables, je vais les exploiter et les intégrer à ma mise en scène, comme un peintre ajouterait une nouvelle couleur à sa palette. D’ailleurs, plus il y a de contraintes, plus je suis créative, car je veux faire oublier aux gens qui regardent mes scénographies les difficultés techniques. Je veux que la magie soit au rendez-vous et émerveiller un maximum de personnes.
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Fondatrice de LCV Magazine en 2009, la journaliste Karine Dessale a toujours souhaité qu’il soit un “média papier en ligne”, et la nuance veut tout dire. A savoir, un concept revendiqué de pages à manipuler comme nous le ferions avec un journal traditionnel, puis que nous laisserions traîner sur la table du salon, avant de nous y replonger un peu plus tard… Le meilleur compliment s’agissant de LCV ? Le laisser ouvert sur le bureau de son Mac ou de son PC, avec la B-O en fond sonore, qui s’écoule tranquillement…
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