La COVID 19 semble contraindre les villes à interroger leur espace de manière littérale. En effet, dans un contexte viral qui a eu l’effet d’une bombe à l’échelle mondiale, il semble nécessaire d’accepter le nouveau paradigme. Car au-delà du fait bicyclette, qui pourrait paraître anecdotique vu du ciel, c’est toute la vie en mouvement qui est interrogée. C’est d’ailleurs en substance ce que semble dire l’ancien élu marseillais Christophe Madrolle, que nous avons interviewé. Il est secrétaire général de l’UDE (Union des démocrates et des écologistes), en France, et fait partie du cœur de la « garde verte », qui – depuis des décennies – crie haut et fort sa détermination durable à sauver le monde. Son groupe étant désormais celui vers lequel on se tourne pour comprendre la fuite en avant d’une planète en souffrance, et ses dommages collatéraux sur les populations. Face à des décideurs qui n’y connaissent parfois pas grand-chose et qui ont souvent considéré le sujet secondaire, Christophe Madrolle dit ne rien reprocher aux opposants qui s’approprient le sujet, à la seule condition que leurs politiques publiques deviennent éco-responsables.
LCV Magazine : Est-ce que selon vous, la Covid 19 a servi de catalyseur et contraint les villes à réfléchir plus vite à l’évolution de l’espace commun ?
Christophe MADROLLE – Les villes françaises ont pris du retard en matière de pistes cyclables. A Marseille, par exemple, on a dû mettre les bouchées doubles, parce qu’en quelques mois, il y a eu une vraie demande. Les gens désertaient les transports en commun parce qu’ils considéraient que c’était dangereux, et ceux qui ne souhaitaient pas prendre leur voiture individuelle ont pris des vélos et des trottinettes. Les « corona-voies » se sont développées, voire imposées dans Marseille pour faciliter l’utilisation de la bicyclette.
LCV Magazine : « Les corona-voies » semblent avoir remis le débat au même niveau pour tout le monde, cela quel que soit ses affinités politiques ?
Christophe MADROLLE – Exactement. Tout le monde est au même niveau, tout le monde souhaite effectivement développer des transports et la mobilité devient une vraie problématique de toutes les villes d’aujourd’hui.
LCV Magazine : Qu’est-ce qui fait que pour Marseille, c’est plus complexe que pour une ville comme Paris ?
Christophe MADROLLE – Marseille fait partie des villes qui avaient accumulé tellement de retard, par rapport à Paris, Bordeaux, Lyon ou Nice. Notamment grâce à l’aménagement des voies sur berges. Au lieu de développer les transports vélo sur la Corniche, rien n’avait été fait. Donc, on a pris du retard. Ce sont des combats politiques que j’ai menés pendant 20 ans face au maire Jean-Claude Gaudin. Il prenait les écolo-réformistes que je suis, pour de doux rêveurs quand je lui disais qu’il fallait développer les transports doux et les pistes cyclables. Il considérait le vélo comme « une activité de loisirs » et pas du tout comme une activité quotidienne pour faire des déplacements entre son domicile et son lieu de travail.
LCV Magazine : Mais s’il ne s’y est pas intéressé, c’est peut-être aussi parce que les électeurs n’étaient pas prêts et qu’il sentait que cela ne constituerait pas un levier dans les urnes ? Le sujet était-il finalement et jusqu’à la Covid 19, exclusivement politique ?
Christophe MADROLLE – Depuis le mois de mars, depuis la COVID, il n’y a plus un seul vélo à vendre à Marseille, les rayons Décathlon sont vides, tous les petits magasins qui vendent des vélos sont vides et il y a eu une multiplication des locations des vélos Decaux (NDLR : Vélos qui sont mis à disposition par la ville dans Marseille). La réalité est que les gens utilisent le vélo, achètent des vélos. Il y avait donc effectivement un manque à Marseille. Et aujourd’hui, il faut développer pistes cyclables pour répondre à cette demande, comme partout ailleurs.
LCV Magazine : En terme social, est-ce que le vélo peut, selon toi, désenclaver certains quartiers ou, au contraire, est-ce encore le terrain privilégié pour alimenter la gentrification des centres urbains ?
Christophe MADROLLE – Je ne peux pas le dire aujourd’hui. Ce serait mentir que de dire : les quartiers Nord (NDLR : Quartiers populaires de Marseille), peuvent être désenclavés grâce aux déplacements à vélo. En tout cas, il y a une multiplication des usagers du vélo, visibles dans tous les quartiers de Marseille, que ce soit sur la Corniche ou autour du Vieux Port, et ce ne sont pas seulement des « bobos ». Il y a des jeunes, des vieux, des femmes, des hommes, et une grande diversité de population. Mais je ne vais pas dire que les voies cyclables sont la solution miracle pour désenclaver les quartiers nord, je n’en sais rien. C’est surtout trop tôt. On verra bien. S’il y a une stratégie, si c’est porté politiquement par la ville et par la métropole, on peut arriver à construire certaines choses.
LCV Magazine : Dans quelle mesure, selon vous, la redéfinition de l’espace public depuis cette épidémie, produit un impact sur la mobilité ?
Christophe MADROLLE – C’est la question du partage de la rue, de la voie. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, je me bats depuis des années pour que la rue ne soit pas « tout bagnole ». Que l’espace public soit partagé entre les voitures, les piétons, les vélos, les poussettes, etc. Donc, le fait que l’on développe le vélo, ça pousse aussi les voitures à aller moins vite. Il faut maintenant pouvoir contraindre certaines rues à passer en zone 30 ou en zone 20 pour que le partage de la voie soit réel. Il faut réserver des voies de circulation aux piétons, aux vélos. Il faut pouvoir réduire le stationnement aussi des voitures pour dégager de l’espace public. Après, il faut créer des zones de vitesse limitée à 20 km/h, où l’on partage la voirie. Après, tu peux développer des locations longue durée pour les vélos. Et s’engager politiquement à le faire.
LCV Magazine : Est-ce que l’écologiste de la première heure que vous êtes est amer et regrette que les choses ne se soient pas enclenchées plus tôt ? Parvenez-vous à rester positifs ?
Christophe MADROLLE – Cette période d’enfermement, pour nous écologistes est déjà très compliquée déjà. On a vu la nature reprendre ses droits en méditerranée, par exemple, avec les baleines, les dauphins, etc. Et donc, c’est évident qu’on doit réfléchir aussi à notre avenir, à traduire cette période au niveau politique. La question de la mobilité doit être au cœur de notre réflexion. Car la France doit combler ce retard en matière de mobilité douce, vis-à-vis d’autres pays européens comme la Hollande, le Danemark, la Suède, etc. Aujourd’hui, on a la possibilité et la capacité de pouvoir développer ces initiatives douces partout. Il faut, maintenant, que les politiques se modernisent et se saisissent de ce qui s’est passé pour pouvoir investir dans le cadre des plans de relance, par exemple, dans cette direction. D’ailleurs, avec l’UDE, mon mouvement, nous allons faire des propositions. Il y a déjà deux échéances qui arrivent. L’échéance des élections départementales et des élections régionales. On fera des propositions d’écologistes pour développer des mobilités pour le vélo, par exemple, avec l’accompagnement des personnes à mobilité réduite, et ces fameuses trames vertes pour les véhicules électriques. Ainsi dans une région comme celle de Provence-Alpes-Côte d’Azur, la région sud, on pourrait très bien imaginer qu’il y ait, comme dans les pays nordiques, ou en région Centre-Loire, une trame verte d’Arles à Nice, ou d’Aix à la corniche de Marseille, pour créer un espace vélo pour que les gens puissent faire du vélo de randonnée du vélo touristique. Encore une fois, quand il y a une volonté politique, on peut le faire. Mais il faut considérer le vélo, puisque c’est le sujet, non pas comme quelque chose d’accessoire mais comme quelque chose qui permette, d’une part, de se mouvoir dans un territoire, mais aussi de pouvoir réduire la fracture sociale, ce qu’on abordait tout à l’heure.
LCV Magazine : Pour conclure, à titre personnel, le contexte actuel ne semble pas avoir changé grand-chose de vos habitudes ?
Christophe MADROLLE – A 14 ans, j’étais aux Amis de la terre, aux Amis de la nature. Je suis écologiste depuis lors. Le contexte actuel a peut-être renforcé mon côté écologiste centriste. Aujourd’hui, l’écologie est un paradigme à part entière. Ce qui se passe depuis le mois de mars, montre que cette question doit être au cœur des décisions de politique publique. Le sujet est devenu transversal. Il ne peut pas y avoir d’option politique sans tenir compte de ce que j’appelle le développement durable, c’est-à-dire l’équilibre entre économie, environnement et social. Ce doit être une réflexion permanente dans la prise de décision globale. Pour le reste, je n’ai de leçon d’écologie à recevoir de personne. Je sais d’où je viens, je sais ce que je veux faire, je sais quels sont les gens qui portent une vraie valeur écologiste et je connais les margoulins qui se drapent derrière des idées écologistes pour prôner des idées ultra gauche.
Propos recueillis par Karine Dessale
Annexes : Interview du Talk Le Figaro
Fondatrice de LCV Magazine en 2009, la journaliste Karine Dessale a toujours souhaité qu’il soit un “média papier en ligne”, et la nuance veut tout dire. A savoir, un concept revendiqué de pages à manipuler comme nous le ferions avec un journal traditionnel, puis que nous laisserions traîner sur la table du salon, avant de nous y replonger un peu plus tard… Le meilleur compliment s’agissant de LCV ? Le laisser ouvert sur le bureau de son Mac ou de son PC, avec la B-O en fond sonore, qui s’écoule tranquillement…
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