Il ne voulait plus se contenter de ses concepts et de ses idées, mais voir le résultat de ses créations…. alors autant fabriquer lui même ! Après une école d’art appliqué à Paris en architecture d’intérieur, design d’environnement et design objet, Jonathan Marty, 38 ans, a choisi la menuiserie.
Vous étiez frustré de rester au stade du projet ?
J’avais envie de savoir si les concepts que je développais étaient réalisables et de quelle manière. Une envie de me confronter de plus près à la réalité de la fabrication. Comment, très concrètement fabriquer un meuble, avec quelles machines, en résolvant quelles contraintes techniques, etc. Et puis le bois c’est un matériau magnifique ! Écologique, renouvelable, utilisé depuis toujours, avant même que l’homme ait des outils. Il est noble, il y a beaucoup d’essences variées et c’est aussi un matériau qui est, finalement, assez facile à travailler, et qui offre une multitude de possibilités. Il faut quand même que je mette un petit bémol, parce que le bois massif est écologique, mais on est parfois obligé de travailler avec des dérivés du bois qui le sont un peu moins. Mais cela reste un travail agréable.
Vous considérez-vous comme un menuisier designer ?
La plupart du temps je dirais que je suis un menuisier « basique ». Quand je fais de l’aménagement ou de l’agencement, cela laisse assez peu de place à la créativité. Mais la deuxième partie de mon activité consiste à créer des meubles hybrides à partir notamment de ce que je vais trouver dans la rue, souvent à base de bois, comme les meubles qu’on jette aux encombrants par exemple, et là je peux exprimer toute ma créativité. Cela devient un travail de designer ou d’artiste. J’ai commencé quand j’ai pu avoir un atelier. Petit à petit, j’ai pu faire mes créations dès que j’avais un peu de temps. Je les laissais de côté pour fabriquer les commandes que je recevais puis je revenais à mes créations.
Quelles sont les étapes de la réalisation de ces meubles-là ?
C’est une rencontre de hasard. À Paris ces meubles sont sur le trottoir en attente d’être récupérés par les services de la ville, et quand je les vois, j’imagine l’artisan qui les a fabriqués, la vie de ces meubles chez des gens et puis pourquoi ils se retrouvent là, est-ce qu’on les a cassés, est-ce qu’ils se sont abîmés avec le temps ? Je les récupère aussi pour qu’il y ait moins de gaspillage. Par contre je n’ai pas vraiment d’idée précise quand je les prends, je vais l’imaginer petit à petit, ça évolue en les regardant, en dessinant, et puis ensuite ils « passent sur le billard », un peu comme Frankenstein, c’est la comparaison qui me vient : je vais garder un pied, un bout du dossier de la chaise, des portes et puis je vais les injecter dans mon idée, mon dessin et leur donner une deuxième vie et en essayant de les valoriser, de montrer l’amour et la poésie dans laquelle j’ai envie de les développer. Je raconte aussi une histoire de cette façon, et tout cela fait que chacun sera un meuble unique.
Ce processus de « mutation » vous prend combien de temps ?
C’est très difficile à estimer, parce que d’une certaine façon je prends le processus à l’envers. Normalement un designer réfléchit à l’optimisation des matériaux, de la chaîne de fabrication, donc il a un ordre précis de ce qu’il va donner à faire à l’artisan. Moi, au lieu d’une matière première, je pars de quelque chose qui est déjà façonné, je dois adapter mes outils, ma réflexion même. Au début je ne sais pas trop où je vais, ni combien de temps cela va me prendre. La complexité du résultat va définir le temps que je vais mettre, mais je peux difficilement le chiffrer à l’avance.
Avez-vous beaucoup de demandes dans cette partie créative ?
Pas pour le moment parce que j’ai très peu communiqué là-dessus, à part sur mon Instagram où j’ai mis quelques photos, mais sans expliquer vraiment le fondement du projet. Je dois avoir posté quatre meubles ! Il faudrait d’ailleurs que j’écrive un texte pour expliquer pourquoi je récupère les meubles, l’intérêt de leur donner une deuxième vie, en quoi ce sont pour moi des « mutants ». La prochaine étape c’est un site internet pour exposer ma démarche.
L’essentiel de votre exercice ce sont des commandes de particuliers ?
Je fais du sur-mesure d’aménagements avec des particuliers ou des architectes. Comme menuisier j’interviens quand, en fait, le standard ne correspond pas où ne peut pas « être adapté ». C’est ce qui me différencie : je réponds à une demande spécifique et je m’adapte, je suis aussi là pour faire des propositions. Mes clients satisfaits le font savoir à leurs connaissances et c’est ainsi que j’ai beaucoup de travail. Je ne fais pas de pub, je ne cherche pas du tout le travail, c’est le bouche-à-oreille qui marche tout seul. Je pense qu’il y a une forte demande. À Paris c’est hyper dynamique, à cause des achats d’appartements qui s’accompagnent de rénovation. On travaille plutôt avec des gens qui n’ont pas le temps, qui en général ne savent pas bricoler et qui ont assez d’argent pour faire appel à nous. Parce que la menuiserie dans un appartement ce n’est pas essentiel pour l’agencement donc ceux qui nous appellent demandent un « plus » et en ont les moyens.
Selon vous, quelles sont les grandes qualités et les grands défauts pour un menuisier ?
Côté qualités c’est travailler consciencieusement, être patient, bien faire son ouvrage. Parce qu’on est un peu « au bout » de la chaîne dans la rénovation, dans la finition donc, et quand on vise du sur-mesure il faut s’adapter à tous les défauts d’un endroit, que ce soit des sols, des murs. En fait il faut être précis, avoir envie de faire un beau travail. Les défauts c’est tout l’inverse : être trop pressé, et faire un travail pas assez soigné.
Considérez-vous le métier de menuisier comme un métier d’art ?
Pour moi c’est un métier d’art comme l’ébénisterie, et d’ailleurs comme tous les artisans. Et l’artisan peut être aussi un artiste. L’artiste doit être aussi un artisan donc tout est très proche et complémentaire est c’est important.
Travaillez-vous seul aujourd’hui ?
Oui, je suis indépendant et j’ai envie de le rester. Je participe aussi à un atelier collectif, parfois on peut s’entraider entre menuisiers ou avec d’autres corps de métier. Mais je n’ai pas du tout envie de créer une entreprise et d’avoir des employés. L’atelier collectif a commencé dans un squat à Saint-Ouen, une occupation des anciennes usines Wonder, qui fabriquaient des piles et des batteries dans le temps. J’ai rejoint l’équipe des « ateliers Wonder » quand ils sont arrivés à Bagnolet dans un immeuble qui s’appelait le « llebert ». On est restés deux ans là-bas, ensuite on est allés à Nanterre au pied de la Défense et maintenant nous voilà à Mairie D’Issy.
Comment la crise sanitaire vous a-t-elle touché ?
La première crise… enfin pendant le premier confinement je n’ai pas pu aller travailler parce que je suis dans cette association, et un atelier d’artistes où nous sommes une dizaine. En tout, 60 artistes occupent ces bâtiments de manière temporaire avant leur démolition ou leur réhabilitation. Pendant le premier confinement le lieu était complètement fermé donc là j’ai été très pénalisé, pendant deux mois j’ai dû rester chez moi. Maintenant je peux travailler, enfin en tout cas j’ai accès à l’atelier donc je suis content. Et après, en tant qu’artisan je peux aller travailler sur mes chantiers.
Le métier de menuisier semble être un métier d’homme principalement, pourquoi selon vous ?
Le constat effectivement c’est qu’il y a beaucoup d’hommes, sur les chantiers je ne croise quasiment que des hommes. J’ai quand même croisé une femme menuisier, ce qui prouve bien que tout le monde peut le faire ! Et ce serait bien qu’il y ait davantage de femmes parce qu’elles sont bien souvent plus patientes, plus compétentes… et il faut l’être. Malheureusement en France l’artisanat ou les métiers du bâtiment sont considérés comme des voies de garage, et on y oriente beaucoup de garçons qui ne savent pas trop quoi faire. On est aussi encore victime de schémas « à l’ancienne » : les filles sont dirigées vers l’esthétique et la coiffure, les garçons vers la mécanique et la menuiserie. En fait, personne n’a envie de le faire en particulier, à cause notamment de ce manque de considération. Il faudrait prendre exemple sur les pays du Nord comme la Suède, les Pays-Bas, où les métiers du bâtiment sont mieux payés, et on y voit davantage de femmes faire de l’électricité ou de la charpente. Là-bas, ce sont des métiers considérés comme intéressants, valorisés et non pas des voies de garage où on envoie des gars qui n’ont pas envie d’aller y travailler.
Informations pratiques Lieu : Association Le Wonder Adresse : 33 rue Médéric, 92110 Clichy Site : https://lewonder.com Téléphone : 06.13.94.11.02 Réseaux sociaux (Instagram) : jonathan.marti.menuisier
Propos receuillis par : Sandra Granjo, Claire Jean, Zoé Lucas, Lila-Prune Rouault, Emma Ruc
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