Photographe de renom aux sublimes clichés de grands mammifères en noir et blanc, très engagé dans la cause animale, Laurent Baheux connaît mieux que personne les différentes espèces de la savane africaine. Depuis près de 20 ans, il immortalise les lions, les girafes ou encore les éléphants avec sa signature artistique, qui a fait le succès de ses nombreux ouvrages. Le 11 mai prochain, on le suivra dans la savane, son terrain favori, grâce au documentaire “Félins noir sur blanc”. Rencontre avec un homme engagé.
D’où vous vient cet attrait pour la faune africaine ?
C’était un rêve de gosse ! C’est très bête, mais quand j’étais gamin je regardais “Tarzan” avec tous ces grands mammifères d’Afrique. Je rêvais d ‘être au milieu des girafes, des éléphants et des lions. C’est un continent assez magique grâce à sa faune sauvage. Quand je travaillais à Paris, pour couvrir l’actualité sportive nationale et internationale, j’ai ressenti le besoin de me reconnecter à la nature et je suis parti là-bas pour m’offrir une respiration physique et mentale.
De tous les animaux que vous avez pu côtoyer, lequel vous a le plus marqué ?
Le lion a une place à part. C’est un peu l’animal incontournable de toute cette faune, qui a le droit de vie et de mort sur tous les autres y compris l’éléphant. Et puis il a une prestance et une magnificence. C’est un animal pour lequel j’ai une très grande fascination. Il a un mélange à la fois de férocité, de fragilité, et de tendresse.
Pourquoi travaillez-vous le noir et blanc ?
Ça fait partie de mon histoire avec la photographie. J’ai débuté avec des photos en argentique, le numérique n’est apparu qu’au début des années 2000. Tout mon apprentissage s’est fait au laboratoire argentique, pour des raisons économiques, et j’y ai pris goût. Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire de la photographie, je me suis aperçu qu’elle a été inventée en noir et blanc. Ça a nourri mon regard et je m’en suis inspiré.
Avec le noir et blanc, j’ai l’impression de me concentrer sur l’essentiel : les textures de la crinière du lion, la composition et le graphisme de l’image, les contrastes, etc. Pour moi, la couleur est un élément perturbateur qui va disperser le regard de la personne qui observe la photo.
On va pouvoir vous suivre dans votre travail avec le documentaire “Félins noir sur blanc”, diffusé le 11 mai prochain sur Ushuaïa TV. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
C’est un peu l’artiste, la vie, son œuvre ! Ça fait presque 20 ans que j’arpente la savane en Afrique australe et en Afrique de l’Est. Cette fois-ci, une équipe de tournage m’a suivi sur le terrain, dans ce que je sais faire le mieux : photographier les animaux et saisir la beauté de l’instant. C’est à la fois mon approche esthétique mais aussi ma philosophie de pratique, mon regard sur le métier, et sur les félins.
Vous vous êtes prêté à l’exercice du doublage et de la voix off. C’était une première pour vous ?
Effectivement c’était nouveau, comme d’avoir une équipe de tournage. Ça faisait longtemps que la télévision me tournait autour. Il y avait eu plusieurs tentatives de projets qui n’avaient pas abouti. Cette fois-ci, le réalisateur Mathieu Le Lay et les producteurs ont su me convaincre d’accepter le petit jeu. La photographie est un métier de solitaire, et j’ai l’habitude de travailler uniquement avec mon guide. Pour ce documentaire j’ai essayé de partager un peu de mon intimité de photographe, ce qui n’est jamais simple car c’est très personnel et ça se partage à travers mes photos. C’était donc un nouvel exercice qui s’est bien passé grâce à la sensibilité de Mathieu Le Lay et à son talent pour s’effacer tout en restant à mes côtés. La démarche était très intéressante.
Est-ce que ça vous a donné l’envie de faire d’autres documentaires ?
Ça m’a donné plein d’idées et on a déjà d’autres projets dont je ne peux pas encore parler. Mais oui ça m’a donné le goût et l’envie de poursuivre ce genre d’aventures.
Vous êtes très engagé contre la captivité des animaux. Ce combat s’est-il accentué depuis vos voyages en Afrique ?
Ça s’est effectivement accentué en observant les animaux sauvages vivre dans leur quotidien. Un lion a besoin de 100 km2 pour avoir suffisamment de proies et ne pas être en concurrence avec d’autres prédateurs, un éléphant de faire 40 km par jour sur son territoire. Et c’est primordial qu’ils chassent eux-mêmes pour se nourrir et qu’ils choisissent leur partenaire pour s’accoupler, ce qui n’a jamais lieu en captivité.
Faites-vous allusion aux zoos ?
Oui principalement, parce qu’il y a une incompréhension totale de ce qu’est un animal sauvage. Ce n’est pas parce qu’on s’en occupe bien, qu’on les nourrit correctement, et je ne mets pas en doute la bienveillance des soigneurs, qu’ils sont en liberté. Je me bats pour montrer que les zoos ne présentent que des animaux vidés de leur animalité, qui ne sont que des caricatures d’eux-mêmes. On en apprend davantage sur eux en visitant le Musée d’Histoire Naturelle avec ses animaux empaillés. Les zoos sont pour moi une mascarade, ils s’abritent derrière une mission éducative ou de conservation, alors qu’il ne s’agit que d’un alibi pour masquer la réalité.
De quelle réalité s’agit-il selon vous ?
Ce sont avant tout des entreprises à but lucratif, on ne le dit jamais assez. Je prends l’exemple de Beauval, “la plus belle réussite du zoo en Europe”. Les millions d’euros qu’ils réalisent ne vont pas à la conservation, mais à de nouvelles attractions : 40 millions pour un nouveau dôme exotique, 42 millions pour un complexe hôtelier capable d’accueillir des charters de Chinois, 12 millions d’euros pour une nouvelle tyrolienne qui survole les enclos… Il ne faut pas se voiler la face, c’est un parc d’attraction façon Disneyland. Qu’ils reversent 1 à 2,5% à la conservation, c’est un minimum légal auquel ils sont tenus. Ensuite, ils communiquent uniquement sur ce sujet et leurrent complètement les visiteurs en leur faisant croire que s’ils viennent, ils aident à préserver le monde sauvage. Ce qui est totalement faux ! Ils aident principalement leurs propriétaires à s’enrichir. Les zoos sont juste une grande foire d’exhibition pour divertir les hommes, il faut le dire. Comment peut-on dire qu’on a recréé une “savane” dans un enclos de 1.000 ou 2.000m2 ? Si ce n’était pas pathétique, ce serait juste risible.
Que préconisez-vous ?
S’ils veulent vraiment jouer un rôle dans la préservation et la conservation, il y a plein d’espèces locales menacées par la destruction de leur habitat naturel. Qu’ils les recueillent et qu’ils fassent des programmes d’élevage et de réintroduction de ces espèces. Mais qu’ils arrêtent d’enfermer un ours polaire dans un zoo de béton sous 40°C. Les gens pensent qu’il y a des bons et des mauvais zoos. Est-ce qu’aujourd’hui il existe des bonnes et des mauvaises prisons ? Non. On essaye juste de tromper les visiteurs sur le bien-être animal, alors qu’ils ne travaillent que sur le bien-être du visiteur pour le rassurer et le déculpabiliser de venir voir des animaux emprisonnés.
Nos confinements peuvent-ils faire changer la vision des gens sur les animaux en captivité ?
C’est souhaitable et je pense que les lignes commencent à bouger, mais pas assez vite à mon goût. On a souvent l’habitude de dire qu’une idée nouvelle connaît trois phases : la moquerie, le combat et l’acceptation. Pour l’instant, on se situe entre les deux premières alors que pour les cirques, le grand public est proche de la phase d’acceptation. C’est d’ailleurs paradoxal, puisque beaucoup de gens sont choqués que les animaux soient utilisés par ces spectacles. On me traite régulièrement de menteur sur les réseaux sociaux, car les gens ont encore du mal à regarder la vérité en face. Il existe une barrière psychologique ancrée depuis trop longtemps qui nous sépare du monde animal et les gens n’arrivent pas à la dépasser car pour eux, l’homme se place toujours au-dessus.
Pendant ces confinements, vous avez lancé des expositions virtuelles sur votre site. Quel bilan en tirez-vous ?
Ça me paraissait une bonne idée de mettre en place ce genre de choses car tous les lieux culturels ont été fermés. En restant à la maison, les gens sont demandeurs de ce type de contenu. Ça leur fait du bien de pouvoir s’évader un peu par ce biais-là, et j’ai eu des retours positifs. C’est une expérience plutôt intéressante, que je poursuivrais peut-être.
Vous êtes également engagé en faveur du référendum pour les animaux. Est-ce que les parlementaires et les sénateurs vous ont suivi ?
On sait qu’au niveau de l’opinion publique, une majorité de personnes sont favorables à ce référendum. Mais on a encore des progrès à faire au niveau politique car certains décideurs sont encore un peu trop au service d’intérêts privés.
Quels sont vos projets futurs ?
J’ai un projet de livre en cours qui sera sur l’éléphant. Je le photographie depuis une vingtaine d’années et je trouve qu’il mérite un livre à lui tout seul. C’est un animal hors-norme qui a une intelligence proche de la nôtre. J’ai également une exposition intitulée “De l’art & du cochon” qui sera visible dans un refuge partenaire en juillet et août, puis elle partira à la rentrée sur un festival à Rambouillet.
Quel message souhaitez-vous que le monde conserve de votre travail et de vos engagements ?
Le message c’est que cette planète regorge de merveilles naturelles, que le monde sauvage est magique et fragile en même temps, vu qu’il repose sur des équilibres précaires qui sont actuellement fortement menacés par l’activité humaine et l’exploitation irraisonnée de nos ressources. C’est une invitation au respect de tout le vivant. On l’oublie trop souvent mais nous sommes un élément parmi toutes ces espèces. C’est quand même dommage, et paradoxal, de mettre cette si belle intelligence de l’homme au service de la destruction de la planète.
Infos pratiques:
Site internet: https://www.laurentbaheux.com/
Documentaire “Félins noir sur blanc”, diffusé le 11 mai prochain sur Ushuaïa TV
Journaliste plurimédia, Camille Sanchez a un attachement à l’univers de la gastronomie. À l’affût des nouvelles adresses et des tendances food, elle aime vous faire découvrir les produits de nos régions et ses producteurs. Ayant plusieurs cordes à son arc, elle vous propose également des plongées dans les festivals de musique, des focus sur des séries télé et des expositions mais vous invite aussi à découvrir la pelote basque. Une véritable touche-à-tout !
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