Avec son film Petites Mains, sorti le 1er mai, Nessim Chikhaoui retrace la lutte des femmes de chambre des palaces. Un récit, qui combine humour, soutien et émotion, inspiré par les grèves de 2018 et 2019 dans certains hôtels luxueux de Paris. Avec cette deuxième œuvre cinématographique, le réalisateur poursuit sa lancée dans la production de films aux messages forts et engagés.
Eva, une jeune femme de chambre de 20 ans, intègre une équipe au sein d’un grand hôtel, un palace. Elle y rencontre Simone, Safiatou, Aissata et Violette, ses nouvelles collègues, au caractère bien trempé. Entre les salaires mensuels, égaux à moins d’un dixième du prix d’une chambre, les dos en vrac et les exigences inatteignables, Eva découvre une solidarité inébranlable qui règne entre ces femmes.
Le réalisateur Nessim Chikhaoui s’attaque à nouveau à un sujet social sensible. Après Placés (2022) , son premier film sur la vie des enfants en foyer, il signe Petites Mains, une comédie sociale inspirée de faits réels, qui met en lumière le quotidien des “invisibles” dans les palaces. Sensible aux causes fortes, il poursuit son engagement et questionnement envers les luttes sociales. Lors de l’avant-première du film au Pathé Levallois, le 29 avril dernier, il a affirmé vouloir “continuer à aborder le sujet de la protection de l’enfance“.
Inspiré de faits réels
Pour réaliser ce long-métrage, Nessim Chikhaoui a travaillé avec Alice Labadie, une productrice du distributeur de films Le Pacte. Ils ont surtout trouvé leur inspiration, dans un fait sociétal marquant. En septembre 2018, les femmes de chambre françaises de l’hôtel Park Hyatt Paris-Vendôme ont décidé de se mettre en grève. Elles réclamaient d’être internalisées, la rémunération des heures supplémentaires et de meilleures conditions de travail. Après 87 jours de grèves, et un défilé médiatisé, les grévistes avaient obtenu un accord.
Autre fait marquant : la lutte des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles, à Paris, en juillet 2019. Parmi les personnes emblématiques de ce mouvement, on retrouve une des portes-paroles, Rachel Keke, qui a inspiré le personnage de Safiatou. Motivées par le combat des femmes de l’hôtel Park Hyatt Paris-Vendôme, les femmes de chambre se disaient prêtes à lutter aussi longtemps qu’il le faudrait. Et elles l’ont fait. Leur grève a finalement pris fin en 2021, après 22 mois de lutte. “C’est important de mettre en avant le combat de ces femmes au cinéma parce que ce sont des héroïnes du quotidien“, a indiqué le réalisateur lors de l’avant-première. Et d’ajouter que si les choses ont bougé, c’est grâce au courage, à la solidarité et surtout à la joie de ces femmes. “Ce mouvement a aussi été médiatisé par cette humeur joviale qui différait des ‘traditionnelles’ grèves.”
S’il ne“voulait surtout pas tomber dans le misérabilisme“, comme il l’a expliqué dans une interview pour Le Pacte, il précise que le but “était de montrer qu’elles existaient, mais dans la joie.” Et c’est réussi ! Petites Mains mêle l’humour et l’émotion, en proposant des personnages solaires, chacun vivant l’affrontement à sa façon.
Un combat solaire
Là où le film sort du lot, c’est par la façon dont cette lutte sociale est abordée. La solidarité et le sens de l’entraide règnent, amenant une fraîcheur inattendue. Le réalisateur a souhaité mettre en avant le fait que la joie et la sororité ont permis à ces femmes de se battre jusqu’au bout. Au cours de l’histoire, les grévistes se font de plus en plus nombreux devant l’hôtel. La fine équipe décide finalement de réaliser un défilé de mode, haut en couleur, durant la Fashion Week. Le tout, dans une ambiance festive.
Le personnage de la jeune Eva, interprétée par Lucie Charles-Alfred, qui jouait déjà dans le film Placés, apporte de la nouveauté dans cette équipe, et réussit même à obtenir le support des plus têtues. On le voit avec Simone, la femme de chambre la plus expérimentée, portée par Corinne Masiero, connue pour ses nombreux engagements et pour son rôle emblématique de Capitaine Marleau. Proche de la retraite, Simone est très attachée à son travail, au point d’être la plus hostile. Cependant, leur relation évolue progressivement, révélant une générosité maladroite de la part de la doyenne.
Lors de l’avant-première, le réalisateur Nessim Chikhaoui a expliqué que“chaque personnage s’est construit petit à petit“. Notamment le personnage d’Eva, qui est une suite d’Emma, présente dans son premier long-métrage. Dans Petites Mains, son évolution se construit au fil des difficultés. Chaque obstacle va la rendre plus forte, va lui permettre d’affirmer sa soif d’être entendue et va la marquer à vie. Cet événement fera d’elle une femme nouvelle. Le paradoxe, entre son lieu de vie et son lieu de travail, regorge de sens. D’un lieu à l’autre, la posture, le vocabulaire, ou même la personnalité ne sont plus les mêmes. Ce contraste tumultueux fait écho avec le film, puisqu’il souligne l’importance que peu importe d’où l’on vient, nous avons tous les mêmes droits.
S’interroger sur notre rapport au travail
En plus de relater un véritable mouvement social, le film s’interroge sur notre rapport au travail. Si le travail est une source de revenus, il n’est pas forcément source de bonheur. On le voit par exemple avec Simone, personnage à la fois authentique et bouleversant. Elle offre une magnifique prestation qui souligne le besoin de ne pas dépasser ses limites au travail. Sa volonté de travailler malgré son âge avancé, fait d’ailleurs écho à un sujet brûlant d’actualité : la réforme des retraites. “Simone m’a permis de parler du corps brisé par le travail, mais aussi de la retraite“, précise Nessim Chikhaoui. Avec cette production, le cinéaste a voulu sensibiliser le spectateur au surmenage que peut parfois engendrer le travail. Parce que même si le corps meurtri peut guérir, l’esprit, lui, n’oublie jamais les séquelles.
Autre personnage très intéressant, Safiatou, inspiré de Rachel Keke, une ancienne femme de chambre, ayant participé à cette lutte et désormais députée du groupe La France Insoumise. Safiatou est une figure emblématique de ce combat. Elle travaille d’arrache-pied à l’hôtel, mais ne parvient pas à obtenir un poste d’interne. Elle a des enfants, son mari ne travaille pas et elle rencontre des difficultés avec ses papiers. Cette femme décide finalement de rejoindre la grève, dévoilant une force et une détermination impressionnante.
Aussi, au-delà de l’amitié, l’amour peut être un pilier fondamental pour surmonter ces moments intenses. Le charmeur Ali, interprété par Abdallah Charki, propose un jeu léger qui redonne le sourire. Lors de l’avant-première, l’acteur s’est dit ravi d’avoir pu“exprimer (sa) propre personnalité”. “Le réalisateur nous a laissé une grande liberté pour interpréter nos personnages“, a-t-il ajouté. Pour mieux rentrer dans son rôle, le comédien a décidé de se rendre dans des palaces et d’échanger avec le personnel. C’est en les observant qu’il a appris la posture à adopter. Selon ses dires, observer le personnel lui a permis de se rendre compte de la précision et minutie que demandait ce métier.
Des “petites mains” plus que nécessaires
En assemblant des témoignages, le réalisateur est parvenu à lier fiction et réalité, donnant encore plus d’ampleur à ce mouvement. Il n’hésite d’ailleurs pas à inclure dans son générique de fin, des images des grèves. “Ce sont ces gens qui me donnent envie de faire du cinéma“, précise Nessin Chikhaoui. Chaque inégalité démontrée dans ce joli film – du petit-déjeuner refusé aux femmes de chambre externes, aux heures supplémentaires non rémunérées – a pour objectif de marquer le spectateur, de lui rappeler que, si sa chambre est propre, c’est grâce à ces femmes courageuses, grâce à ces “petites mains“.
Il le souligne d’ailleurs avec spontanéité : “Depuis le Covid, c’est grâce à ces petites mains que la société tient“. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde où l’entraide est nécessaire pour réussir à revendiquer nos droits. C’est précisément ce que Nessim Chikhaoui cherchait à accomplir avec ce film : faire entendre les voix trop souvent ignorées, même lorsqu’elles crient leur désir d’être entendues.
Article réalisé par Sophia Mzoughi et Julie Danel Amanou.
Etudiante en journalisme à l’EFJ, Julie Danel Amanou aime se pencher vers des sujets cultures. Elle est prête à vous partager son intérêt pour le cinéma ou encore la musique à travers ses articles.