Jérôme Brochot, propriétaire du restaurant «Le France» à Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), a rendu son étoile parce qu’il voulait bousculer les tarifs de ses assiettes, puis il l’a récupérée. Une attitude qui sort de l’ordinaire. Alain Ducasse que nous interpelons à ce sujet lors du lancement de la 4ème édition de Goût de France, organisé au Quai d’Orsay le 6 mars dernier, confie qu’il ne voit pas pourquoi on devrait relier le prix de l’assiette à une reconnaissance étoilée : « Les deux actions sont dissociées… Le guide Michelin, ce n’est pas le guide suprême et d’ailleurs (il) vous dit de faire ce que vous voulez… » . Il confirme ainsi que l’on peut choisir une cuisine accessible et populaire, tout en conservant les honneurs… Entretien exclusif LCV.
LCV : Que s’est il passé en novembre 2017 ?
JB : J’observais une baisse importante de la clientèle et après réflexion, j’ai décidé d’adresser une lettre au Guide Michelin qui positionne les restaurants étoilés plutôt sur le segment du haut de gamme. Ce segment a fait que les clients locaux ne venaient plus chez nous et nous n’avions pas assez de tourisme dans ce territoire.
LCV : A quel moment avez-vous pris la décision d’arrêter de fonctionner comme avant et de sortir de la compétition ordinaire du Guide Michelin ? Quel a été le déclic ?
JB : C’est une décision qui a été prise en novembre 2017 cependant au regard des premiers résultats de l’année, j’y ai songé à partir de juin, je suis certes cuisinier mais aussi entrepreneur et je suis responsable d’emplois au cœur d’un secteur géographique à l’économie compliquée. Le déclic, cela a été de protéger mes équipes, pérenniser les emplois et inévitablement repositionner l’offre, j’ai cependant toujours gardé une qualité irréprochable des produits.
LCV : Quelles ont été les conséquences économiques de cette décision ?
JB : Etonnamment, des clients qui n’avaient jamais poussé la porte de la maison sont venus en nombre, d’un autre côté en annonçant que le menu à 95 euros allait être au déjeuner à 25 euros, cela avait provoqué un appel d’air. A 95 euros, j’avais des poissons nobles et de la truffe ce qui impose des tarifs élevés, cependant le guide n’impose pas de tarification mais il va de soi que le client s’attend à un certain standing. Alors, à 25 euros j’ai innové.
LCV : Certains chefs ont-ils regretté votre démarche ? Il est toujours difficile d’aller à contre-courant…
JB : J’ai plutôt la sensation d’avoir eu des soutiens comme Yohann Chapuis au Restaurant Greuze à Tournus ou Frédéric Doucet à Charolles et bien d’autres nombreux chefs, ensemble nous avons toujours conservé un esprit d’équipe et avons parfois les mêmes clients.
LCV : Pensez-vous qu’à notre époque, la cuisine soit un luxe en tant que telle ? C’est à dire juste en ce qu’elle représente intrinsèquement : bien manger?
JB : Je défends l’idée de la gastronomie pour tous, et quand le Michelin a finalement conservé l’étoile chez nous avec un menu à 25 euros, j’ai pensé que j’étais peut-être la première étoile populaire, c’est une marque de modernité de la part du guide. En maintenant l’étoile au final, m’encourage à trouver des solutions pour faire des plats gastronomiques avec des petits budgets pour les proposer au plus grand nombre. Je ne m’attendais pas à une décision aussi novatrice. Maintenant il me faut la conserver pour démontrer que cela est possible. Cela ouvre la voie à de nombreuses autres maisons, le goût est au cœur de l’assiette et nous les cuisiniers, nous pouvons sublimer de nombreux produits !
Propos recueillis par Karine Dessale
http://www.jeromebrochot.com/fr/
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