Coquillages, algues et organismes marins poussent sur les étiquettes de vins bordelais vieillis dans les profondeurs aquatiques. Le concept séduit le consommateur, mais un vin vieilli en mer est-il vraiment meilleur ?
Dans la filière viticole, les différents modes d’élevage et de vieillissement du vin sont encore infinis à explorer. Une des idées d’une poignée de vignerons bordelais, des puristes, comme le Château de Lugey, depuis plus de 12 ans, le Château Massereau ou le Château Larrivet Haut-Brion expérimentent l’élevage en milieu marin.
Peu de données scientifiques probantes à ce sujet pour le moment, mais le retour de ces aventuriers du vin est unanime : le nectar gardé sous l’eau, dans une obscurité faible ou totale, une fraîcheur constante, peu d’oxygène, sans bruit, sans vibration, gagne de deux à cinq ans de maturation. Grâce aux remous naturels et réguliers de l’eau, son évolution est, semble-t-il, amplifié comparée aux cuvées jumelles restées au chai. Les vins paraissent plus souples et plus ronds, leur couleur est plus brillante et les arômes plus complexes et plus intenses. Les levures qui livrent ces arômes, et transforment le sucre en alcool, s’épanouissent différemment sous l’eau. Un des phénomènes à prendre en compte reste l’échange entre le vin et son milieu de conservation. Cette navigation étant possible grâce au bouchon qui joue un rôle de filtre. «Certaines molécules odorantes peuvent, tout comme l’air, pénétrer au sein de la bouteille par le bouchon. Le vin respire pour vieillir. En mer, il sera donc plus iodé » précise Franck Labeyrie du Château de Lugey.
Aucune énergie pour maintenir ces conditions de stockage, des kilomètres de fond d’océan à louer auprès du Domaine Public Maritime (DPM), une adaptation de conservation possible face au réchauffement climatique et qui plus est avec un impact nul sur l’environnement.
Deux aspects importants à soulever pour que les expériences soient les plus révélatrices de résultats, le nombre de bouteilles immergées et depuis combien de temps. Le « one shot » n’est scientifiquement que peu parlant. Les dégustations comparatives sur le temps ont encore beaucoup à divulguer. L’effet des (presque) abysses est encore un secret bien gardé.
Sélection
L’histoire dit que le viticulteur Louis-Gaspard d’Estournel aurait envoyé des vins de Bordeaux et Bandol en Inde au XVIIIe siècle, les invendus seraient revenus en France bien meilleurs qu’ils n’étaient initialement. Dans les cales d’un bateau, immergé en mer, sous la glace, enfoui le sable, ou sous terre, les vins élevés en milieu naturel sont encore dignes des grandes explorations.
(Tous les vins ont été dégustés en comparaison avec leur jumelle restée sur terre).
1 – Château de Lugey (AOC Graves) – « Le blanc des cabanes » 2017
2000 bouteilles élevées 6 mois dans une concession sous-marine de 50m2, dans le bassin d’Arcachon, cet assemblage de Sauvignon, Sémillon, Muscadelle en sort bonifié avec des notes iodées, quelques touches salines, et du gras en bouche.
2 – Château Larrivet Haut-Brion (AOC Pessac-Léognan) – « Neptune » 2009
Une barrique « Neptune » 35% merlot, 65% cabernet, immergée 6 mois dans l’eau du bassin d’Arcachon révèle des tannins plus soyeux, aux arômes de sous-bois, plus rond et complexe.
3 – Château Tour Haut-Caussan 2012 (AOC Médoc)
Ce Médoc a été immergé dans la baie de Morlaix par la société Vin d’O. Elle en ressort aussi fraîche que sa jumelle, mais plus en rondeur.
4 – Château de Lugey (AOC Graves) – « Rouge des neiges » 2015
Enfouie 5 mois, sous 5 mètres de neige (température fraîche, faible luminosité), à plus de 2 400 mètres d’altitude (oxygène plus rare), dans le cirque du Lys. La cuvée présente une belle structure, une plus grande maturité des arômes et surtout une minéralité bien présente.
5 – Château Massereau (AOC Bordeaux supérieur) – « Cuvée X » 2015
Vin naturel, sans sulfites ajoutés, et immergé dans la baie de Morlaix. Plus soyeux, mais un brin fermer au débouchage. Une heure après ouverture, il offre tout son fruit, délicat et débridé !
6 – Château Maubastit 2008 (AOC Sainte Foy Bordeaux)
La cuvée est restée en apnée 10 mois dans les profondeurs d’un parc ostréicole du golfe du Morbihan. « Plus de musc, plus de cuir, plus de patine » que sa sœur restée à terre.
7 – Egiategia (Vin de France) – « Dena Dela »
Issu de vieilles vignes de Grenache et vinifié partiellement à 15 m de profondeur dans la Baie de Saint-Jean-de-Luz. Résultat : une vinification en trois mois au lieu d’un an, « un vin légèrement perlant et un goût incomparable ». A déguster frais à la manière d’un Lambrusco.
8 – Cave des vignerons de Tursan (AOP Tursan) – « Expérience » 2016
À 4m de profondeur, durant 5 mois, sous une dune de sable, sur une plage des Landes, c’est là que « Expérience » a acquis sa bouche structurée, une palette aromatique allant des fruits rouges sur-mûris, et des notes d’épices, de réglisse et de café. Le passage sous le sable a semble-t-il ralentit le vieillissement du vin.
9 – Domaine Grange Grillard – Henri Maire (AOC Arbois) – « Tour du monde » 2002
Pendant 3 mois, les bouteilles ont voyagé à bord du bateau « Matisse » pour une épopée où les bouteilles ont subi la houle, les variations rapides de pression et de température. Résultat : le vin s’est bonifié, il a gagné en maturité, un nez plus subtil et une bouche explosive
10 – Domaine de la Bretonnière (AOC Muscadet Granite Sèvre et Maine) – « Granite » 2015
11 mois immergé à 12 m de profondeur, en magnum à la forme de flute-muscadet, ce 100% melon de Bourgogne, a gagné en structure, corps, minéralité et fraîcheur. Son acidité naturelle s’est même adoucie.
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