Connu pour ses produits électroménagers haut de gamme, James Dyson, en toute humilité, n’en finit pas de se réinventer. Ses créations ont beau être hors de prix, ses inventions bluffent le monde entier et les amoureux de design et de technologie en redemandent. Anobli par la reine Elisabeth en 2007, Sir James Dyson est un pragmatique, pas un rêveur. Il aime résoudre les problèmes, cela l’anime. Alors qu’en France, le mot design est utilisé comme adjectif qui qualifie un style, en Angleterre, il signifie “conception”. Aussi lorsqu’une personne pense que Dyson est une marque “esthétique”, l’inventeur est déçu car ses appareils sont pensés pour être efficaces et c’est leur fonction qui dicte leur style. Bref James Dyson aime sublimer le quotidien.
LCV Magazine : Qu’est ce qui vous a amené au design ?
Sir James Dyson : J’ai suivi des cours d’art lorsque j’étais en pension, et cela m’a vraiment intéressé. J’ai donc décidé d’intégrer une école d’art à Londres. C’est là que j’ai découvert le design et pensé: «C’est ce que je veux faire. Je veux concevoir et créer des choses. » J’ai commencé par l’architecture. Par la suite j’ai découvert Buckminster Fuller, le grand inventeur et entrepreneur américain, après quoi je me suis naturellement dirigé vers l’ingénierie.
LCV : Après l’aspirateur sans sac, le ventilateur sans pale, vous vous êtes également intéressé à la voiture électrique, ou vous arrêterez vous ?
Sir James Dyson : De la technologie révolutionnaire des aspirateurs sans sac au projet de voiture électrique qui aurait dû être présenté fin 2020, les innovations rythment l’histoire de Dyson. Améliorer sans cesse les technologies du quotidien reste le grand défi qui anime les ingénieurs Dyson et ce challenge nous offre un champ des possibles extrêmement vaste. Vous imaginez bien que comme pour toutes les technologies développées nos ingénieurs partent d’un ou de plusieurs constats pour développer une expertise et répondre à un besoin. Il est possible d’innover dans tous les domaines, tant que nous identifierons des frustrations, nous en ferons naître des inventions. Ainsi, nous devenons experts dans des domaines technologiques et scientifiques extrêmement divers tels que : les moteurs, filtration, aérodynamique, intelligence artificielle, batterie, robotique ou encore science capillaire.
LCV : En quoi travailler sur une voiture vous a-t-il intéressé ?
Sir James Dyson : Le projet du véhicule électrique remonte aux années 90. A l’époque j’avais constitué une équipe d’ingénieurs avec laquelle nous avions travaillé sur une problématique qui prenait de plus en plus d’ampleur : la pollution due aux émissions de moteurs diesel. Comme pour nos aspirateurs sans sac, nous avions eu l’idée de développer des filtres cycloniques cette fois-ci capables de capturer les particules rejetées par les pots d’échappement. Au fil des années, je n’ai pas abandonné ce projet et grâce au développement de toutes nos technologies et à l’élargissement de nos compétences, notamment dans le domaine des batteries, ou encore des moteurs numériques Dyson (DDM) ou de la filtration, il est devenu évident de mettre à profit toutes ses expertises afin de développer notre propre véhicule électrique. Notre motivation première chez Dyson est de résoudre des problèmes que d’autres ignorent et je crois en la bonne combinaison de nos expertises technologiques et au talent de nos ingénieurs pour relever ce défi de taille.
LCV : Pourquoi avoir décidé l’arrêt de ce projet ?
Sir James Dyson : Pour des raisons financières tout simplement car malgré tous nos efforts tout au long du processus de développement, nous impossible à l’heure actuelle d’envisager une façon de rendre le projet viable commercialement.
LCV : Revenons à ce qui vous a fait votre réputation : les aspirateurs, en quoi en quoi les vôtres sont-ils si différents?
Sir James Dyson : J’ai vu le problème et j’ai vu une solution possible, à savoir les énormes cyclones à l’extérieur des cimenteries et des parcs à bois qui collectent la poussière toute la journée. J’ai donc commencé à créer différentes versions de cette technologie. En l’occurrence, cela n’a pas fonctionné. J’ai dû passer quatre ou cinq ans à trouver différents types d’appareils de séparation cyclonique pour le faire fonctionner. Il m’a fallu beaucoup de temps et de travail pour trouver la solution. J’ai dû construire les prototypes, un ou deux par jour, ce qui semble fastidieux, mais qui en fait était passionnant. Je le fais encore aujourd’hui. C’est toujours une merveilleuse aventure pleine d’excitation et de déception. Presque tout ce que vous faites est un échec, jusqu’à ce que vous obteniez le seul succès qui fonctionne.
LCV : Qu’est-ce qui vous motive encore en vous levant chaque matin ?
Sir James Dyson : J’aime entendre que nos innovations sont utiles, qu’elles améliorent l’existence. Je suis également heureux lorsqu’elles résolvent un problème. C’est vraiment mon crédo et ce qui m’anime : dès qu’un problème est réglé, un autre m’apparaît sous les yeux et je dois alors m’y attaquer. Rien ne fonctionnerait sans persévérance. J’ai réalisé 5 127 prototypes pour le premier aspirateur sans sac, et ai fonctionné selon une méthode itérative, et j’encourage les ingénieurs Dyson à faire de même. Je cite d’ailleurs très fréquemment la phrase d’Edison : « Je n’ai pas échoué. J’ai simplement trouvé 10 000 solutions qui ne fonctionnent pas ».
LCV : Vous avez également créé une « université Dyson », accessible après le lycée. Pourquoi vous être lance dans une telle aventure ?
Sir James Dyson : Le Royaume-Uni, et le monde occidental en général, souffre d’une grave pénurie d’ingénieurs, ce qui menace la science, la technologie et l’ingénierie cela a un a un impact direct sur Dyson car cela nous freine dans notre volonté d’augmenter le nombre de technologies que nous souhaitons développer.. Nous prenons le problème à bras le corps en créant ce nouveau diplôme qui combine l’apprentissage théorique à la pratique avec un travail réel et une rémunération en conséquence tout en étant intégré à une équipe d’experts en la matière. Je sais qu’il y a beaucoup de personnes qui sont passionnés d’ingénierie comme je le suis et qui remettent en question chaque aspect d’un produit, comment celui-ci fonctionne et comment il peut être amélioré. Alors pourquoi ne trouver un poste d’ingénieur dès la sortie d’école ?
LCV : L’écoute des jeunes semble être très importante pour vous. Que manque-t-il à la nouvelle génération pour se sentir plus concernée et plus investie ?
Sir James Dyson : Nous avons en effet un problème : les carrières d’ingénieurs ne font plus envie. Nos jeunes veulent devenir traders ou avocats. Pourtant il y a de belles opportunités : seuls 22000 ingénieurs sont diplômés chaque année en GB pour 37000 offres d’emploi qui les concernent ! Il faut donc qu’ils retrouvent de l’intérêt dans une carrière éminemment créative et reconsidèrent ce beau métier. Mais cela ne peut pas se faire tout seul. Que ce soit de ce côté-ci de la Manche ou de l’autre, il faut commencer très tôt. Au moment du bac, les dés sont déjà jetés. C’est bien plus jeune qu’il faut commencer à sensibiliser les enfants : qu’est-ce qu’un ingénieur ou un designer ? Comment invente-t-on ? Il faut les encourager à expérimenter et à créer de leurs mains. L’innovation ne se décrète pas, elle se prépare.
LCV : Vous semblez également très à l’écoute de vos employés. Concrètement comment cela se traduit-il au quotidien ?
Sir James Dyson : Tout d’abord Il est essentiel de travailler dans des espaces stimulants pour pouvoir imaginer les technologies de demain. Nous avons conçu des infrastructures de pointe afin de permettre aux ingénieurs d’être dans les meilleures conditions pour créer, et apprendre de leurs erreurs en progressant. Je vois tous mes ingénieurs au moins une fois par mois. Etant donnée la hiérarchie râteau de l’entreprise, aucun ne se cache derrière un supérieur hiérarchique qui pourrait s’approprier le travail de ses équipes. Ces séances sont en outre plus stimulantes pour chacun d’entre eux, c’est un peu l’aboutissement de leurs recherches du mois. Ensuite, je juge de la pertinence des travaux, si on peut en tirer quelque chose ou pas. Parfois, c’est des mois ou des années de travail qui peuvent passer à la trappe – c’est d’ailleurs la majorité des projets – ce qui est toujours terrible pour l’ingénieur qui les porte. Mais quand une merveilleuse trouvaille a fait son apparition, alors nous lui donnons tous les moyens de voir le jour. Et là, tout le monde se met derrière le projet, ça devient le vrai bébé de tout le monde. En plus de ces rendez-vous mensuels avec mes ingénieurs, il leur arrive parfois de m’appeler de façon intempestive pour me montrer un prototype qu’ils jugent important et me faire une démo.
LCV : En quoi technologie et design sont-ils liés ?
Sir James Dyson : Chez Dyson, avant les considérations esthétiques, le plus important est la fonctionnalité et la performance. Cependant, tout dépend comment on regarde un objet. La technologie peut être éminemment esthétique et merveilleusement belle à regarder. C’est notamment la raison pour laquelle nous avons toujours privilégié la transparence sur nos aspirateurs : voir – et surtout comprendre – comment un appareil fonctionne, c’est fascinant et inspirant.
Depuis 2018 le Dyson Institute of Engineering and Technology a ouvert ses portes pour accueillir des étudiants qui développeront de nouvelles technologies aux côtés de professionnels de stature mondiale pour mettre au point des appareils qui finiront dans des maisons du monde entier, tout en réalisant leur travail universitaire. Ils bénéficieront donc d’un apprentissage de haut niveau combiné à une application sur des projets concrets. Ils sortiront de ce cursus universitaire de quatre ans sans dettes, en ayant perçu un salaire tout au long du programme et avec, s’ils le souhaitent, des perspectives professionnelles chez Dyson. Ce sont mes études artistiques qui m’ont conduit à me lancer dans le design industriel. L’art me passionne depuis toujours. Je suis d’ailleurs un visiteur assidu du Victoria and Albert Museum à Londres. C’est le plus grand musée d’arts décoratifs et de design au monde, avec plus de 4,5 millions d’objets au sein de la collection permanente. Saviez-vous d’ailleurs qu’il est même possible d’y voir un aspirateur Dyson ?
LCV : Quelles sont les choses qui vous inspirent ?
Sir James Dyson : Ma vision du design se rapproche de celles d’Isambard Kingdom Brunel. Créateur du Great Western Railway, il a également participé au percement du premier tunnel sous la Tamise. J’admire sa détermination à tout inventer lui-même. Il n’était pas intéressé par ce qui existait déjà. Comprenez, le mot « design » n’a pas le même sens des deux côtés de la Manche. En Angleterre, « design » veut dire « conception ». Alors qu’en France, son acception est plus large, il va être utilisé comme adjectif qui qualifie un style. Lorsqu’une personne pense que Dyson est une marque « esthétique », je suis déçu. Nos appareils sont pensés pour être efficaces. Chez Dyson, c’est la fonction qui dicte le style. Chaque boulon compte : il est là pour améliorer l’efficacité de l’appareil. Vous l’aurez compris, j’aime résoudre des problèmes. Cela m’anime, et anime mes équipes d’ingénieurs- designers. Par conséquent, je suis très sensible aux objets du quotidien qui répondent à cette logique. Exemple, j’aurais aimé inventer la pelleteuse JCB en 1956. Avant elle, on n’aurait jamais imaginé creuser un fossé sans une bêche. Pendant les cinquante années qui suivirent son invention, ces pelleteuses jouèrent un rôle majeur dans la transformation du visage de la Grande Bretagne et du reste du monde. Sa pelle géante a donné une autre dimension au verbe « creuser ». Le campus technologique accueille des icônes du design tels qu’un Harrier Jump Jet, une Mini coupée en deux, un hélicoptère Bell 47 et un Jet English Electric Lightning datant de la Guerre Froide, qui a été restauré et est désormais suspendu au plafond du café. Rien de tel que d’offrir un accès quotidien à ces succès pour encourager notre créativité.
LCV : Comment devient-on un grand ingénieur, voir même inventeur ?
Sir James Dyson : Nous souhaitons encourager nos collaborateurs à penser différemment, et ce n’est pas l’expérience qui compte, ni le niveau de connaissance, mais la capacité à remettre les choses en question, à aller contre les idées reçues, à expérimenter et à apprendre de ses erreurs. C’est ce qui fait un bon ingénieur-designer Dyson… Je veux encourager et inspirer la génération future d’ingénieurs-designers, encourager les esprits créatifs à poursuivre des carrières en lien avec le design, l’ingénierie et la création. Au travers de ma Fondation, je souhaite transmettre les valeurs auxquelles je crois pour devenir un bon ingénieur-designer : frustration, persévérance, esprit de contradiction et perfectionnisme. Ce sont pour moi des caractéristiques essentielles pour s’accomplir en tant qu’ingénieur ou designer. Dans le processus design, il est fondamental de savoir se tromper, apprendre de ses erreurs et protéger ses idées.
LCV : L’idée de transmission semble être primordiale pour vous, preuve en est, vous travaillez aujourd’hui avec votre fils…
Sir James Dyson : J’ai renoncé il y a quelques années au poste de PDG, pour rester ingénieur en Chef. Cela me permet de rester au plus près de ma passion et des jeunes créatifs qui m’entourent, chaque jour je leur rends visite en laboratoire pour suivre l’évolution de chaque projet. Je n’apprécie pas le formatage car je pense qu’il ne produit rien de bon. Donc en effet, nos collaborateurs sont plutôt jeunes, créatifs et différents. Le costume et la cravate… ce n’est pas notre façon de manager. Pour moi, il était essentiel que Dyson soit repris par un membre de la famille. Ce n’est pas une question de business, mais de développement de la technologie. Quelqu’un d’autre ne serait pas autant attaché à la recherche et à l’ingénierie que moi. Jake le sera !
LCV : Comment imaginez-vous Dyson dans 50 ans ?
Sir James Dyson : Je pense que l’avenir réside dans notre capacité à utiliser et consommer moins d’énergie, à l’optimiser, au travers par exemple de moteur plus compacts mais plus puissants. C’est ce vers quoi nous dirigeons notre rechercher aujourd’hui.
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