Frédérique Barraja, connue pour ses photographies de stars réalisées sur les plus grands plateaux de cinéma, n’en est pas moins une artiste accomplie. Avec une œuvre contemporaine personnelle qu’elle impose au fil du temps.
Sa personnalité n’est pas anodine. Définitivement présente à l’instant où elle vous parle, rarement ailleurs. Elle se livre vite, révèle autant de cachettes dans lesquelles elle aurait planqué mille secrets. La proximité a de quoi surprendre si l’on est pas préparé, ou plus exactement ne correspond pas aux normes aseptisées des rencontres dictées par notre profession. Avec cette juste distance qui nous renvoie finalement à l’état sauvage et nous interdit de vivre. Frédérique Barraja n’est pas faite de ce bois là. Elle tend à bout de bras sa part de vérité, adhère qui veut. Qui ne veut pas passe son chemin. N’est pas humain qui veut, se dit on lorsqu’on la quitte après l’entretien. A ses débuts elle a commencé à faire des pochettes de disques , puis dans le cinéma comme photographe de plateau : de Claude Miller à Luc Besson , en passant par Anne Fontaine, Manuel Poirier, Bruno Solo, Gus Van Sant, Olivier Assayas, Walter Salles Elle a réalisé deux livres sur les coulisses de tournage de films. Les actrices l’inspirent. C’est l’élément féminin qui l’inspire, comme si elle désirait se blottir vraiment, tout contre elles et plonger dans leurs confidences en exclusivité. C’est d’ailleurs ce qui ressort de ses clichés. Une oeuvre charnelle qui pleure, qui rit, qui se donne du plaisir. Aujourd’hui elle nous présente une nouvelle série sur l’un des préliminaires qui la touche particulièrement : Le baiser. Plus précisément la langue. La langue comme élément de sensualité, d’approche, de connaissance de l’autre, sa peau, son odeur. La langue comme le début d’une relation intime. Et plus largement comme l’échange précieux d’une personne avec une autre. Comme les relations que Frédérique Barraja tisse avec les femmes avec lesquelles elle partage son chemin d’artiste. Les clichés sont souvent prétexte à soulever des débats profonds. En écho aux voyages qui l’ont sensibilisée à la difficulté des femmes à se faire respecter dans le monde. Son regard se pose tout particulièrement sur leur courage, leur force d’être mère, d’être femme. Comme lors d’un reportage dans les townships en Afrique du sud, Swaziland, et Mozambique, rencontrant ces femmes contaminées par le VIH et expulsées de leur propre famille. Ou en Israël ces femmes qui se battent. Sans parler des témoignages de tourisme sexuel en Thaôlande ou des prostituées de Saint-Domingue. Le mal des femmes occidentales aujourd’hui est lié à la solitude, on en revient inexorablement à ce droit au plaisir qu’elle observe tout particulièrement et depuis si longtemps.
LCV: Est-ce que la photographie contemporaine prend naturellement la suite de la photographie de plateau au cinéma ?
Fédérique Barraja: Ce n’est pas que la photographie contemporaine remplace la photographie de plateau. J’ai toujours travaillé en continuité et en parallèle. Et c’est complémentaire. Les deux sont un regard porté sur les gens. Ce que j’aime dans la photographie c’est la rencontre, être proche de l’autre, dans l’intime. Une sorte de documentaire. Mon travail est toujours tourné vers les femmes, les femmes mères comme dans mon reportage sur “les stars et leurs enfants” (paru en janvier 2009 dans paris match), ou bien les femmes séropositives dans les townships en Afrique du sud qui se battent quotidiennement pour survivre.
LCV : Pourquoi cette série de baisers ?
FB : Le baiser est une étape importante car il marque le tout début d’une relation, la résonance de deux corps, le rythme commun, la capacité d’adaptation, la profondeur du rapport à venir. Loin d’être un geste naturel, nous ne “baisons” pas pareil dans différents pays. Le baiser avec la langue a quelque chose de cannibale, de violent, alors qu’il montre son amour ou sa tendresse. Ce paradoxe m ‘interpellait et j’ai voulu en savoir plus. Pourquoi nous nous embrassons beaucoup au début d’une relation et moins au fur et à mesure des années qui passent. Alors j’ai voulu rencontrer des couples et comme mon mode de communication est l’image, je suis partie photographier mes amis, et les amis de mes amis!
LCV : Vous semblez vous intéresser souvent à la sensualité, que symbolise-t-elle pour vous ?
FB : La sensualité est le départ de la vie, dans notre société on oublie souvent le corps, la peau, on oublie de se toucher. Dans certains pays on masse les bébés très jeunes, les adultes se massent entre eux, comme un dialogue, une sorte de communication… Chez nous, c’est un luxe. On “mentalise” énormément et on oublie la sensualité, dans le rapport avec les éléments, la nature , l’air, l’eau… C’est ce retour à l’essence de notre être, à l’essentiel qui m’intéresse. De plus cette sensualité est aujourd’hui galvaudée par cet étalage de sexualité (publicité), on nous stresse avec des performances à tenir (de poids, de jouissance,…) alors que la sensualité est un état de bien-être intérieur et un état de lâcher prise.
LCV : Qu’est-ce qui vous différencie des autres ?
FB : J’aime photographier les couples, leur tendresse, leur amour, leur gêne parfois… On parle beaucoup avant , ils connaissent ma démarche et je crois qu’ils sentent qu’ils peuvent me faire confiance. Certains “vieux” couples m’ont d’ailleurs fait la réflexion que ça faisait longtemps qu’ils ne s’étaient plus embrassés comme ça ! Et qu’ils allaient donc y remédier !
LCV : Pensez-vous à d’autres thèmes ?
FB : Je travaille en parallèle sur un autre thème, mais qui fait partie de la même démarche de recherche de bien être, de réconcilier son esprit avec son corps. Il s’agit de la masturbation féminine, dont on parle peu, car les femmes ne sont pas encore réconciliées avec leur désir. Elles ont mis beaucoup de décennies à se battre pour être économiquement libres, aujourd’hui elles ont leur place dans la société (et encore pas dans tout les pays), mais du coup leur sexualité s’en est trouvé bouleversée. J’ai fais une exposition à la galerie SLOTT (12, rue du Château Landon Paris 10e) en juin et je prépare un documentaire de 52 mn pour la TV sur ce même thème.
Fondatrice de LCV Magazine en 2009, la journaliste Karine Dessale a toujours souhaité qu’il soit un “média papier en ligne”, et la nuance veut tout dire. A savoir, un concept revendiqué de pages à manipuler comme nous le ferions avec un journal traditionnel, puis que nous laisserions traîner sur la table du salon, avant de nous y replonger un peu plus tard… Le meilleur compliment s’agissant de LCV ? Le laisser ouvert sur le bureau de son Mac ou de son PC, avec la B-O en fond sonore, qui s’écoule tranquillement…
Discussion about this post