L’homme est exigeant, passionné, à fleur de peau et à des années lumière du monde factice dans lequel on l’imagine… L’œil rieur, le sourire charmeur, Patrick Massiah est avant tout quelqu’un d’authentique, pétri d’humour et de générosité. Il aime l’échange et la relation à l’autre. Touche à tout bien ancré dans son époque, il est aussi nostalgique à ses heures, et attache une vraie importance aux traditions, au partage et à la transmission. Très éclectique dans ses choix artistiques, il surprend souvent. En 1999, il crée “la Compagnie Le Tapis Volant”. Acteur et metteur en scène engagé, il est aussi très sensible à la cause des personnes handicapées. Aussi, lorsqu’il endosse le costume de « Mr Butterfly » d’Howard Buten, son jeu est juste, simple et terriblement impressionnant presque magique. Sur les planches ou devant la caméra – comme prochainement dans « Monseigneur Lustiger » -, sa curiosité le pousse à explorer toutes sortes d’horizons qui jour après jour nourrissent encore et encore son histoire… Rencontre…
Racontez-nous votre rencontre avec le cinéma…
Patrick Massiah : Si je dois remonter au plus loin dans mes souvenirs, je dirais que c’était au ciné-club de mon école primaire, Saint Hélène à Nice – C’était une école publique, et le vendredi après-midi c’était cinéma. Mes 2 premiers films ont été « FanFan La Tulipe » avec Gérard Philippe et « La Belle et la Bête » avec Jean Marais ! Et puis il y avait aussi ces moments avec mon père qui me faisait voir le film du dimanche après-midi souvent avec Spencer Tracy… Puis beaucoup plus tard, les films Italiens des années 70… « Affreux Sales et Méchants », « I nuovi mostri »…que j’allais voir Place Garibaldi au Mercury…
Le jour où vous avez décidé de faire du cinéma?
Patrick Massiah : En fait, j’ai surtout décidé de faire du théâtre. Pour moi le cinéma c’était un rêve et le théâtre une réalité… Il y eut ensuite ma rencontre avec Julien Bertheau qui m’a trempé dans le théâtre comme des Hassid rentrent dans l’étude de thora !! Mais au fond, je pense que cela c’est imposé à moi comme une évidence car depuis tout petit j’imitais toute ma famille, mes tantes Italiennes ou mes tantes argentines… Mais, c’est Michel Drach qui m’a mis le pied à l’étrier en me donnant mon premier rôle avec Jean Carmet et Claude Brasseur dans Maupassant. J’étais encore au lycée.
Quels sont les acteurs, ou les films qui vous ont donné envie de faire ce métier ? Pourquoi ?
Patrick Massiah : La révélation, le déclic, ce fut Philippe Noiret dans « le vieux fusil, dans la scène où il met un mouchoir pour ne pas hurler car sa famille a été exterminé… C’est cette scène qui m’a fait dire : Je veux faire cela ! Je veux ressentir ces émotions, et les faire passer…
Que faut-il pour être un bon acteur ?
Patrick Massiah : Ohhh ! Et bien, je dirais lire des romans, comme me l’a dit un jour Jean Pierre Bisson… mais aussi regarder les gens ! Et surtout, Vivre, vivre intensément.
Pour entrer dans la peau de vos personnages il vous faut … ?
Patrick Massiah : Je pense que c’est surtout le personnage qui entre dans votre peau…
A la lecture de votre parcours, on peut noter que vous êtes souvent seul sur scène. Pourquoi ce choix ?
Patrick Massiah : Je suis un être impatient. Les projets se montent plus vite tout seul… Ce qui pour moi est une bonne raison d’être seul sur scène. Mais jouer avec mes camarades cela me manque de temps à autre, et dans ces moments j’ai plaisir à partager la scène ou l’écran avec eux et de me laisser porter !
Théâtre ou cinéma … où vous sentez vous le plus libre ?
Patrick Massiah : Un spectacle c’est comme une maison. Je dirai donc que le théâtre c’est ma maison. Quant au cinéma, je ne sais pas si je peux dire que j’ai commencé ! (rire)
Vous jouez, vous adaptez, vous mettez en scène… et l’écriture alors ?
Patrick Massiah : Joker…
L’enfance tient une place importante dans votre travail, y a t-il une raison particulière à cela ?
Patrick Massiah : Je crois que c’est inconscient et ensuite quand on se retourne sur ses spectacles on réalise que l’on a un noyau dur d’obsession. Chez moi, c’est l’enfance, la famille, la mémoire et la différence et aussi la solitude…
En adaptant au théâtre le roman d’Howard Buten, vous avez « rencontré » le monde du handicap, cela a-t-il changé votre vision du monde ?
Patrick Massiah : Le monde du handicap, je l’ai côtoyé bien avant ce spectacle ! En 1984 9 jours avant de présenter le Conservatoire National, j’ai eu un grave accident de scooter. Un type a brûlé un feu rouge et paf le chien ! 2 ans d’hosto au Centre Hélio Marin de Vallauris…c’était ma première approche du handicap… physique. Avec « Mr Butterfly », j’ai ensuite découvert le handicap psychique… Deux mondes très différents qui m’ont en effet permis de voir le Monde différemment, j’ai appris a prendre du recul sur les événements.
Vous y faite un numéro d’acteur assez impressionnant…
Patrick Massiah : Merci. Que voulez-vous que je réponde à pareil compliment ? Oserais-je dire que ce sont les grands textes qui font qu’on se sent bien dedans. Et le contexte agréable, l’ambiance favorable… Il y a des rencontres entre un texte et un acteur qui nous dépassent.
Cette pièce que vous avez joué plus de 350 fois déjà, a néanmoins du en déranger plus d’un, n’est ce pas ?
Patrick Massiah : Oui, évidemment que cette pièce bouscule, mais elle fait rire aussi, et elle porte de l’amour et de la tendresse. Certains jeunes sont devenus éducateurs spécialisés grâce au spectacle ! C’est une pièce que je continue de jouer à chaque fois que j’en ai l’occasion, avec le même bonheur… 10 après la première représentation.
Selon vous qu’est ce qui justement dérange le plus dans la différence au sens large du terme ?
Patrick Massiah : La différence justement ! (Rire). Mais ne sommes nous pas tous le différent de « quelqu’un »… ?
Que vous ont appris ces personnes que l’on dit « différentes » ?
Patrick Massiah : La liberté avant tout. Ils m’ont réappris une certaine liberté d’acteur en faît. Ils n’entrent pas forcément dans les codes sociaux standards, cependant, ils ont un grand sens du respect de l’autre et sont très conscients lorsque la société les rejette. Et puis, ils voient et savent des choses que nous ne voyons pas. Quant à moi, je les côtoie comme un camarade, un invité…
Vous avez joué ce spectacle plus de 350 fois, et il vous a valu le prix spécial du jury citoyenneté et handicap de l’ADAPT. Que représente pour vous ce prix ?
Patrick Massiah : Sans hésiter, je dirais que c’est : Mon Molière à moi !!! J’ai joué ce spectacle partout dans des théâtres, des vrais, des beaux, mais aussi dans des salles plus lugubres. Puis hors les murs, dans des centres pour personnes en situation de handicap, des ESAT, des IME, des IMP… J’ai passé des journées entières dans ces centres et le soir, je jouais devant les patients, les soignants, les familles d’accueil… Après le spectacle, j’échangeais avec le public. Je l’ai également jouer en entreprise pour sensibiliser les salariés. Mais je n’ai rien inventé, j’ai simplement pensé à Jean Dasté. Vous savez, c’est impressionnant hors les murs, quelquefois même ma régisseuse et créatrice lumière Anne Coudret elle-même n’en revenait pas. Vous arrivez seul et puis tout à coup, c’est le tourbillon au milieu de la folie, la vraie. Et puis vous repartez seul, chargé de toutes ces émotions, de toute ces rencontres… Exactement comme au théâtre !
Que pensez-vous de cette phrase : “L’art est le fruit le plus élevé de ce que l’homme peut créer. » ?
Patrick Massiah : C’est pas le sujet que j’aurais choisi au bac !!! (rires). Lorsque l’on parle des grands maîtres comme Renoir, Mozart et d’autre, je suis bien évidemment d’accord avec cette phrase. Pour ma part, la chirurgie se place bien au-dessus de l’art… Un anévrisme de l’aorte bien opéré, ou un pontage, n’est ce pas de l’art aussi… D’ailleurs, Jacques Brel disait : « Nous sommes une aspirine pour le public! »
Quel est le plus beau compliment que l’on vous ait fait ?
Patrick Massiah : Je crois que chaque compliment que l’on me fait est beau… Il y a eu par exemple,après une représentation de Monsieur Butterfly, une fille IMC « Infirme Moteur Cérébral » qui m’a dit : « Merci de faire des spectacles sur nous… » Et puis, Jean Pierre Carasso le magnifique traducteur des premières pièces de Howard Buten m’a dit : « On ne se rend plus compte que ce n’est pas toi qui a écrit le texte… ». Une autre fois, une spectatrice m’a comparé à Richard Fontana… J’ai eu « le melon » pendant 2 jours ! Et récemment, sur le film « Monseigneur Lustiger » que je viens de tourner aux côté de Laurent Luca, Pascal Grégory, Bruno Todeschini et Audrey Dana où je joue le Grand Rabbin Sirat, le réalisateur Ilan Duran Cohen m’a dit des choses que je garderai pour moi, et qui m’ont donné énormément confiance en moi… Mais la confiance… elle va et elle vient !
Quelles sont aujourd’hui vos envies ?
Patrick Massiah : Combien de pages avons nous ? (NDLR : rires). Monter la vie de Galilée de Bertol Brecht. Jouer Mascarelli dans l’Etourdi de Molière, Le Neveu de Rameau, Le Misanthrope, une pièce de Florian Zeller ou Eric-Emmanuel Schmitt…. Jouer un grand escroc au cinéma… et pour reprendre mon « Joker », me mettre à écrire une pièce ou un scénario.
Vos projets ?
Patrick Massiah : J’ai de nombreuses envies, mais plus précisément, je voudrais finir de mettre en boite un documentaire sur mes parents décédés que j’ai filmés il y a 13 ans… Je joue une pièce sur L’AVC d’après l’histoire vraie de Laetitia Bohn Derrien qui a eu un Lock-in Syndrom et qui est revenue à la vie ! Une magnifique histoire d’amour en plus !Il y a également un programme court en préparation, un solo encore et une pièce très drôle à 6 personnages de Jean Claude Dannaud.
Interview : Carole Schmitz – Photos : Jean-François Deroubaix
Pour visionner la bande annonce de MONSIEUR BUTTERFLY cliquez sur ce lien
http://www.youtube.com/watch?v=bn3es227bu4
Remerciement à l’hôtel Baltimore – « M Galerie Collection »
88Bis, Avenue Kléber (Paris 16ème)
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