Nous rêvons tous de nous extraire de la réalité de ce monde aux angles saillants, lorsque l’artiste nous ramène à la vérité, une vérité qu’il regarde droit dans les yeux. C’est ce que l’on ressent en lisant les mots de la sculptrice Valem, dont le discours sous-tendu par l’émotion, la glaise et la chair, évoque la mélodie des plus grands, tels que Auguste Rodin. Elle ne s’embarrasse pas de métaphores. Elle évoque la matière qu’elle prend sans la craindre, et ses mains sont pleines du vivant de ses oeuvres en devenir. Elle confie qu’elles lui donnent envie de danser dans son atelier. Alors, si loin des écrans et de nos contraintes artificielles, nous sommes soudain projetés hors du temps. Et nous valsons avec elle…
LCV Magazine : Vous avez vécu plusieurs vies. L’une vraisemblablement traditionnelle, sur le marché du travail, puis l’autre, artistique. Avez-vous ressenti le soulagement du choix juste, lorsque vous avez décidé de vous consacrer à votre Art ?
VALEM : L’art a toujours fait partie de ma vie, même si je l’avais mis au second plan. Si j’ai choisi de faire mes études d’ingénieurs à l’UTC (Université de Technologie de Compiègne), c’est parce que cette école proposait une filière Design, si j’ai choisi d’être modèle à l’école des beaux-arts de Compiègne pendant mes études, c’est parce que ce job étudiant me donnait accès aux cours de dessin et modelage gratuitement… Une fois diplômée, j’ai vite compris que je ne réussirai pas à concilier mon besoin d’expression artistique et mon métier d’ingénieur au sein d’une même activité. J’ai alors fait le choix, dès l’obtention de mon diplôme, d’exprimer ma créativité via l’innovation dans le cadre de mon métier d’ingénieur et dans la création artistique via la sculpture. Ma soif d’apprendre et ma boulimie de travail m’ont permis d’évoluer dans mes fonctions et de réaliser des missions passionnantes dans les organisations pour lesquelles j’ai travaillé, mais je me sentais toujours en décalage dans mon environnement. Et je crois que mon besoin permanent de pousser les murs finissais par épuiser mon entourage. J’étais convaincue d’être une bonne ingénieure avec de fortes capacités créatives, mais j’ai fini par réaliser que j’étais une artiste avec de forte capacité de structuration et d’organisation. Depuis cette prise de conscience et ma décision de me recentrer sur la sculpture, je me sens plus à ma place et plus sereine. Mais toutes mes expériences me portent et nourrissent ma création.
LCV : La rencontre d’un(e) galeriste est-elle essentielle pour entériner l’envie d’une trajectoire artistique ? Est-ce que l’on peut s’en passer ?
Valem : Je ne sais pas si c’est lié à mon passé professionnel, mais je ne m’imagine pas travailler seule et pour mon seul profit. J’ai besoin d’avoir le sentiment de contribuer à quelque chose qui apporte de la valeur à d’autres que moi. Sur le « marché du travail », les relations professionnelles sont parfois brutales, mais lorsque l’on arrive à tisser de vrais liens de confiance, elles sont d’une grande richesse. Je reste convaincue que l’union et la complémentarité des compétences et des points de vue rendent plus fort et permettent de se faire progresser mutuellement. Pour me lancer pleinement dans cette carrière de sculpteur, je voulais construire un partenariat privilégié avec une galerie, quelque chose qui ressemble davantage à une aventure humaine qu’à une relation client-prestataire. D’autre part, la vente et la création sont deux métiers très différents et je préfère pouvoir me concentrer sur le second. Je n’aurais certainement pas pu avancer aussi rapidement si la Galerie Bénédicte Giniaux ne m’avait pas accompagnée dans ce projet.
LCV : Pourquoi choisir la sculpture animalière et qu’ont à nous apprendre ces bêtes si présentes ?
Valem : Ce qui m’intéresse avant tout, ce sont les émotions. Elles nous emplissent, nous submergent parfois. L’argile est un matériau formidable pour les exprimer : il est charnel, vibrant, sensuel et brut. Il n’est pas, ou peu, entravé par la maîtrise d’une technique. Les animaux, quant à eux, ne sont pas entravé par la maîtrise du langage pour exprimer leurs émotions. Ils sont émotion. J’ai commencé mon apprentissage du modelage par le nu d’après modèle vivant. Les corps aussi ont un langage émotionnel. Mais dans mon propre atelier, étant cavalière, ma première source d’inspiration fut le cheval, qui reste un fidèle compagnon de ma création. Je ne crois pas avoir « choisi » la sculpture animalière. Je continue d’ailleurs à sculpter et à dessiner le corps humain qui est une source inépuisable d’apprentissage et de beauté. J’adore aussi les visages et bien que je n’aie pas encore beaucoup exploité ces travaux, je sais que je continuerai à les étudier. Mais c’est vrai que les animaux ont une place privilégiée dans ma création. Les êtres humains passent toute une vie à essayer d’apprendre à être. Les animaux sont. Ils ne trichent pas, ils ne se mentent pas. Il est difficile de tricher en leur compagnie parce qu’ils nous savent. Ils perçoivent nos émotions et détectent nos contradictions. Sans nous juger, ils nous invitent à être.
LCV : Les êtres qui incarnent vos sculptures sont terriblement vivants, ancrés dans l’instant : quelle est votre source d’inspiration ?
Valem : Il y a beaucoup de moments vécus, des rencontres fugaces lors de mes voyages, comme mes girafes ou « Abyad », ou des complicités profondes comme « As a gift » ou « Mon chien ». Il y a aussi quelques animaux croisés sur les photos de magazines que mon fils aime me faire découvrir avec lui. Ceux-là me demandent un peu plus de documentation, d’études, de dessins pour se faire apprivoiser. Parfois mes sources d’inspiration sont uniquement intérieures, images mentales muries au fil des ans, qui sortent comme par nécessité. Mais chacune de mes pièces part d’une émotion perçue, que j’essaye de retrouver dans le but de la partager avec ceux qui regarderont mes sculptures.
LCV : Dans quel contexte sculptez-vous et comment parvient-on à insuffler autant d’âme dans de la terre ?
Valem : Mon atelier est une ancienne grange, fraiche et mal éclairée. C’est loin d’être un modèle de rangement et de propreté (moi qui ai enseigné des méthodes de performance industrielle et de bonne tenue d’un poste de travail, je pense qui si mes étudiants me voyaient, ça les ferait doucement rigoler). Je m’y sens bien, c’est mon antre. Lorsque j’y pénètre, je commence toujours par le même rituel : enfiler des chaussures en plastiques et une grosse polaire tachée de divers matériaux, m’équiper d’une lampe frontale et allumer la musique. Puis je commence à danser autour de mes terres. Je travaille souvent sur plusieurs pièces en même temps, ça me permet de passer de l’une l’autre, de travailler sur de grandes plages horaires tout en ayant toujours un regard neuf sur chacune. Je cherche, avec parfois l’angoisse de ne pas trouver. Et puis il y a ces moments de grâce où mes mains n’ont plus besoin de moi et où mes sculptures commencent à me parler. Et puis le lendemain, quand on lève le plastique qui les recouvre, parfois tout est là, parfois la magie est partie. Alors on défait ce qu’on avait cru juste et on recommence, jusqu’à ce que l’émotion soit pérenne.
Exposition VALEM – du 27 avril au 27 mai – Galerie Bénédicte Giniaux – BERGERAC
Galerie Bénédicte Géniaux : 3, Place du Docteur Cayla Centre historique (24100 Bergerac) 06 80 31 09 56 www.galeriebenedicteginiaux.fr Ouvert du mercredi au dimanche de 15h30 à 19h30 et jours fériés.
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