C’est l’un des chefs pâtissiers les plus connus en France et à l’étranger. Philippe Conticini est un pionnier de la pâtisserie contemporaine française, au même titre que son ami Pierre Hermé. Parmi ses créations les plus marquantes: les croquettes de chocolat (1986), le dessert en verrine (1994), ses réinventions du Paris-Brest et du Saint-Honoré (2009) ou encore le bar à choux (2010). En novembre dernier, il a ouvert deux nouvelles pâtisseries au cœur de la capitale : “Philippe Conticini Paris, Gâteaux & Pains d’émotions”. Entretien.
LCV Magazine : Comment s’est passé votre confinement ?
Philippe Conticini : Il a été forcé, mais il s’est passé pour le mieux. Bien évidemment ça m’a beaucoup manqué de ne pas être à l’extérieur, comme tout le monde d’ailleurs. L’important c’était de prendre soin de nous, de nos familles, et des autres. La seule chose à faire, était de rester à la maison. Donc quoi qu’il arrive, qu’importe la difficulté, ça n’avait pas d’importance, il fallait rester à la maison.
LCV Magazine : Certains ont découvert vos lives Instagram où vous avez dernièrement reçus les candidats de Top Chef. Quand avez-vous commencé à en faire ?
Philippe Conticini : Pour tout vous dire, j’en fais depuis presque 4 ans maintenant. La première semaine où est arrivée l’application des lives sur Facebook, la personne de la communication qui travaillait avec moi m’en a parlé. Et le lendemain, j’ai commencé les lives. J’ai été le premier des cuisiniers/pâtissiers à faire des lives en France. On peut d’ailleurs tous les retrouver sur ma chaîne YouTube et sur mon site.
LCV Magazine : Pendant cette période de confinement, il y a eu un réel engouement des Français pour la cuisine, et forcément la pâtisserie. On a notamment vu des pénuries de farine et de levure dans les supermarchés. Comment l’expliquez-vous ?
Philippe Conticini : Ça ne m’étonne absolument pas. En plus des lives, je fais des ateliers en France et à l’étranger depuis 3 ans et demi. Je sais à quel point il y a nombre de femmes et d’hommes, mais un peu plus de femmes, qui passent leur CAP en candidat libre, qui se mettent et se sont mis à la pâtisserie. C’est un engouement qui dure déjà depuis au moins 2 ans, voire peut-être un peu plus, et qui s’est vraiment multiplié ces deux dernières années. Donc cet engouement qui a explosé pendant le confinement ne m’a pas étonné car la quantité de gens qui font et qui s’intéressent à la pâtisserie est vraiment phénoménale.
LCV Magazine : Avez-vous des conseils justement pour ceux qui veulent se lancer dans la pâtisserie et en faire leur métier ?
Philippe Conticini : Il y a beaucoup d’écoles où on peut faire des CAP. C’est une option tout à fait possible. Je pense que le mieux est de faire un apprentissage entre école et entreprise. Le meilleur moyen d’apprendre la pâtisserie, hormis la technique qui est importante évidemment, c’est le terrain. Il faut absolument faire du terrain, et ça, qu’on soit jeune ou moins jeune.
LCV Magazine : En parlant de la technique, dans une interview pour Le Figaro vous avez dit: “La technique ne suffit pas pour inventer un grand dessert”. Qu’est-ce qu’il faut en plus selon vous ?
Philippe Conticini : Exactement. Pour commencer, il faut arrêter de se dire qu’on ne sait pas, qu’on n’a jamais fait, qu’on n’a pas d’idées, ou n’importe quelle autre excuse. Il faut réussir à dépasser le fait qu’on ne sache pas forcément et qu’on manque de technique. Cela demande un peu de travail sur soi.
La technique est importante, mais avec le temps on peut aussi créer ses propres techniques. Il faut dépasser le fait de se restreindre par manque de technique. Il faut se lancer, et surtout faire confiance à ce que l’on ressent. Si par exemple vous aimez le thé matcha et que je vous montre comment faire un chausson aux pommes. Plutôt que de me demander si vous pouvez en mettre dans le chausson aux pommes, faites-le. Je vais peut-être vous dire que ça n’ira pas, mais peut-être que vous vous allez adorer ça. Et en plus, vous allez peut-être trouver l’équilibre qui va plaire aux autres, même si vous ne l’avez jamais fait. Donc vraiment il faut le faire et arrêter de se poser des questions. Le plus important est de se responsabiliser dans le fait d’exprimer ce que l’on ressent et sa sensibilité. Bien sûr il y aura la technique à apprendre en même temps ou bien à créer. Mais il ne faut pas s’arrêter à ça, sinon on se met une barrière.
LCV Magazine : Vous souvenez-vous de la toute première pâtisserie que vous avez réalisée ?
Philippe Conticini : C’était il y a longtemps, j’avais 11 ans. Mes parents étaient restaurateurs et j’avais demandé à ma mère à me servir du four dans la cuisine après la fermeture du restaurant. Un dimanche j’ai fait une génoise, qui est un biscuit de base, avec une crème pâtissière au praliné. J’ai mis cette crème à l’intérieur, j’ai coupé en deux, et j’ai ajouté un sirop. J’ai refermé et autour du biscuit j’ai mis de la crème, sûrement une crème au beurre, je ne sais plus. Sur les côtés j’ai mis des amandes effilées grillées, et sur le dessus j’ai fait une sorte de chablon pour réaliser un dessin et j’ai saupoudré de sucre glace. Je m’en souviens très bien. Je l’ai servi à ma famille et ils ont tous trouvé ça bon. J’étais content, ça m’a fait plaisir d’entendre ça alors j’ai recommencé. On m’a redit que c’était vraiment bon, et ça m’a donné confiance en moi. Ça m’a flatté et surtout c’était rare pour moi d’entendre ce genre de compliment. Donc ça m’a donné envie de refaire, et c’est comme ça que régulièrement je faisais des gâteaux le dimanche jusqu’à l’âge de 15/16 ans. À 17 ans j’ai arrêté l’école, et je me suis lancé.
LCV Magazine : Vous étiez donc baigné dans l’univers culinaire depuis votre enfance ?
Philippe Conticini : J’ai été biberonné à la nouvelle cuisine, oui. Ma mère était reconnue comme étant l’une des meilleures femmes cuisinières de France. À la maison on ne mangeait pas de la blanquette bourguignonne par exemple. J’ai pris conscience de cela il y a 6 ans en écrivant le livre “Mes recettes cultes”. Je me suis rendu compte que toutes ces recettes cultes qu’on connaît en France, je ne les ai jamais mangées quand j’étais petit. On mangeait de la nouvelle cuisine.
LCV Magazine : On vous doit la création de la verrine en dessert. Comment vous est venue l’idée ?
Philippe Conticini : Avant de créer la verrine en 1994, j’ai d’abord réalisé mes premiers desserts en 1986 parmi lesquels les croquettes au chocolat. Elles ont été à la carte de La Table d’Anvers que j’avais jusqu’en 1998 et c’était l’un des premiers desserts à être inscrit dans Le Guide Michelin, alors que ce guide ne nomme jamais des desserts et des plats. À l’époque c’était vraiment un dessert phare et très moderne.
Les verrines sont arrivées en 1994. J’ai été rapidement très créatif. J’avais plein d’idées de desserts. Je me suis rendu compte en 1991/1992, qu’il y avait quelque chose qui ne me convenait plus dans les desserts, mais je ne comprenais pas quoi. J’ai fini par comprendre que j’avais rendu ma pâtisserie beaucoup plus allégée, moins collée, plus aérienne, plus émulsionnée. Donc évidemment cela tenait beaucoup moins bien dans l’assiette. Il me manquait le contenant et je ne m’en étais pas encore rendu compte. À partir du moment où je me suis dit que quelque chose n’allait plus dans les desserts, il a fallu peut-être une petite année pour trouver que c’était le contenant et qu’il fallait en trouver un autre. Il s’est encore passé environ un an avant que je trouve le bon. En juin 1994, j’ai fait un essai avec un dessert à base de quenelle de fromage blanc, d’émulsion de lait, de salade d’herbes, de vinaigrette de pêche, etc. Je demande au sommelier de m’apporter un verre à Bourgogne après avoir eu une idée. Il me l’amène, je restructure mon dessert aux textures différentes non plus à l’horizontale, sinon à la verticale. Je regarde mon verre à Bourgogne quelques instants et je me dis que j’ai trouvé mon bébé. Ça a été immédiat. Et dans les 10 secondes qui ont suivi, je me suis dit que cette création allait faire le tour du monde.
Depuis cet instant-là, ça m’a permis de ne plus jamais douter de moi dans mon travail et d’acquérir toute la confiance nécessaire. Je le fais et en général ça marche.
LCV Magazine : Comment a évolué la pâtisserie depuis vos débuts ?
Philippe Conticini : Elle a énormément changé. Ce que j’ai fait à mes débuts, serait presque, pas toujours mais parfois, aujourd’hui désuet. C’est normal, il faut toujours remettre dans le contexte.
Ce qui a notamment changé, c’est quelque chose dont on n’arrivait pas à parler à l’époque: le travail du goût. Avec Pierre Hermé on en parlait continuellement et je savais que ça allait faire bouger la pâtisserie. Aujourd’hui, tous les pâtissiers qu’on connaît, qui expriment et montrent leur talent, parlent du goût. C’est fondamental. Il y a 25/30 ans, les pâtissiers n’en parlaient pas.
Les pâtissiers se sont libérés du carcan des cuisiniers en souhaitant évoluer profondément dans leur métier par la technique, mais surtout par la liberté d’exprimer qui ils sont. Comme des artistes en fait. Cela a véritablement fait bouger notre métier. La presse s’y est intéressé, en a beaucoup parlé, et après sont arrivées les émissions télévisées qui ont démocratisé tout cela. Et donc la technique a vraiment évolué.
Il y a aussi le matériel, et c’est normal. Dans les années 1990, il a fait évoluer les pâtissiers. Maintenant ce sont les pâtissiers qui permettent au matériel d’évoluer. Il y a une véritable liberté d’expression qui s’est mise en place, et une reconnaissance mondiale des pâtissiers dans leur propre travail: par rapport à leur propre expression, à leur pâtisserie qui est réellement devenue une pâtisserie d’auteur.
LCV Magazine : Quels sont les autres pâtissiers dont vous appréciez le travail ?
Philippe Conticini : J’ai beaucoup de respect pour le chef espagnol Albert Adria. En France, il y a tous ceux qu’on connaît comme Michaël Bartocetti, Maxime Frédéric, Kévin Lacoste, Cédric Grollet, ou encore Nicolas Paciello. Toute cette jeune génération de gars de 30/35 ans, qui ont énormément de talent et qui n’ont plus ce carcan qui les empêche de s’exprimer. Il y en a aussi à l’étranger, mais je n’ai pas tous leurs noms en tête. Et puis bien sûr, Pierre Hermé. Mais nous on se connaît depuis 35 ans.
Ce qui me plaît, c’est la liberté d’expression. Et surtout, au-delà de la technique et du visuel, c’est l’émotion qui peut se ressentir quand on mange quelque chose. Réussir à faire ressentir une émotion, et pas juste me dire que c’est très bon, ça m’impressionne et c’est beaucoup plus rare.
LCV Magazine : On vous a vu dans une épreuve de la demi-finale de Top Chef sur le Saint-Honoré, un dessert que vous avez vous même réinventer il y a quelques années. Qu’avez-vous pensé du travail des trois candidats encore en lice ?
Philippe Conticini : Si vous avez regardé l’émission, vous comprenez mieux ce qu’ils ont fait. Moi quand j’ai découvert leur réalisation, je n’avais aucune information. Donc j’ai jugé comme ça, brut de béton, la revisite du Saint-Honoré. Mon sentiment sera donc différent des téléspectateurs. J’ai vu de très jolies choses. Par exemple le Saint-Honoré aux cèpes d’Adrien. Le design ne m’a pas impressionné, mais par contre le goût du caramel de cèpes était vraiment délicieux. Le dessert de David était bon et très joli. Il a vraiment réussi son défi, sans aucun doute. Après la noisette dans un Saint-Honoré ce n’est pas vraiment cohérent, mais par contre c’était très bon. Mallory a eu plus de difficultés. Il a été dépassé par le temps et ne maîtrisait pas toutes les techniques. Il n’était certainement pas à l’aise en pâtisserie. Par contre sa crème à la vanille était délicieuse.
Si je n’avais dû juger que le travail du goût, j’aurais choisi Adrien. Mais c’était un ensemble qu’il fallait évaluer, et sur ça c’était David.
LCV Magazine : En novembre dernier vous avez ouvert deux nouvelles pâtisseries. Quels sont vos futurs projets ?
Philippe Conticini : Exactement, j’ai ouvert “Philippe Conticini Paris, Gâteaux & Pains d’émotions” dans le 7ème et le 16ème arrondissements de Paris. Pour ce qui est des futurs projets, il y avait des choses prévues mais le Covid les a mises en pause. Avant de pouvoir les dévoiler, je souhaite d’abord qu’elles aboutissent. On va déjà relancer la machine, remettre les choses à zéro et avancer un peu plus doucement. Toutes nos pâtisseries vont rouvrir.
Je peux tout de même vous parler d’un projet en cours. On vient de sortir une charlotte aux fraises magnifique pour la fête des Mères.
"Philippe Conticini Paris, Gâteaux & Pains d'émotions" - Paris 7ème 37 RUE DE VARENNE 75007 PARIS Metro: Rue du Bac / Sevres Babylone __________________ MAR-JEU : 11:00-18:00 VEN-DIM: 10:00-18:00 +(33) 1 43 20 04 99 (boutique et e-boutique) varenne@conticini.fr - Paris 16ème 42 RUE DE L'ANNONCIATION 75016 PARIS Metro: La Muette / Passy __________________ MAR-SAM : 08:00-19:00 DIM: 8:00-14:00 +(33) 1 56 40 01 22 (boutique et e-boutique) annonciation@conticini.fr
Propos recueillis par Camille Sanchez
Journaliste plurimédia, Camille Sanchez a un attachement à l’univers de la gastronomie. À l’affût des nouvelles adresses et des tendances food, elle aime vous faire découvrir les produits de nos régions et ses producteurs. Ayant plusieurs cordes à son arc, elle vous propose également des plongées dans les festivals de musique, des focus sur des séries télé et des expositions mais vous invite aussi à découvrir la pelote basque. Une véritable touche-à-tout !
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