Joshua Redman aime les introductions qui s’étirent et se tordent jusqu’à la corde. Comme l’adepte des Ronsardises séduit à pas lents, part pour revenir, sertit ses allers pour retours, puis cueille sa proie douce en un geste simple et définitif.
Le jazz de ce Redman là, fils de Dewey du même nom et saxophoniste lui aussi, a toujours été une arme à deux temps. Même lorsqu’il était encore un peu immature, il savait déjà prendre son temps. Mais d’ailleurs, est-il juste de dire qu’il aura un jour été immature ? A croire qu’il a aussitôt crée l’illusion du talent pur, en héritage et dès le commencement. Comme le séducteur instinctif sait qu’il faut prendre le risque d’ennuyer un peu, pour emporter passionnément. C’est que l’on perd souvent le fil, dans ses entrées qu’il peaufine, qu’il soigne à l’obsession. Avec ses envolées devenues symptomatiques, on reconnaît ses introductions de si loin, même depuis le backstage d’un festival bondé. Suis-je bien certain de vouloir y aller ? Et puis oui, et puis non Joshua sait y faire, plus on se languit plus le choc est frontal et l’effet prégnant. Étrange personnage au physique sûr, au comportement différent de certains de ses pairs.
Concentré et tonique. ” Je danse comme le papillon et je pique comme l’abeille “, disait Mohamed Ali. La célèbre formule. Le musicien Redman suit ses pas. Comme on remarque qu’il pousse ses musiciens dans le cercle de la lumière : allez y sans moi, je vous suis, à quelques mètres derrière ! Leurs noms inscrits bien en évidence sur les pochettes de tous ses albums. Toujours en valeur. Presque plus que lui. Sur la façade du disque mais aussi à l’intérieur. Sur son dernier Opus, ” Compass “, il rassemble deux batteurs exceptionnels, Brian Blade et Gregory Hutchinson. Pourquoi se priver d’être plusieurs ? La configuration du ” trio double “, c’est ce que l’on remarque aussitôt sur plusieurs titres (tracks 3, 4, 8, 10, 12). Le premier percussionniste s’est imposé d’années en années, comme l’un des plus grands virtuoses du genre contemporain. Le second répète à qui veut bien l’entendre qu’il voudrait souffler sur sa batterie comme Charlie Parker alias la légende Bird, le faisait dans son saxophone. L’album Compass est cohérent. Sa playlist forme un tout, dirigé dans le même sens. Une nouvelle démonstration de la réussite du plan fomenté par Joshua, qui prend toute son ampleur dans Moonlight (Ludwig van Beethoven) Track 8. Un travail de dentellière pour une harmonie équilibrée et un son plein, simple et ténu. Avec deux batteries et deux basses qui cohabitent cinq fois, sans se marcher sur les pieds. Son saxophone milieu de l’histoire, tire son épingle du jeu. Et cela fonctionne, cela ne tourne pas carré. Tout est toujours tellement ” propre ” dans l’univers de Joshua Redman, on aurait presque envie parfois qu’il salisse un peu sa toile, comme le peintre gratte un repentir pour tenter de donner un peu plus d’âme à son œuvre. Non que les élans Redmaniens en manquent, surtout lorsqu’ils s’affolent soudain. On le reconnaît bien là. Mais on regrette de temps en temps un jazz qui semble parfois un brin intellectuel, pas assez poreux, un jazz cérébral et urbain, déconnecté de la sueur des caves où se trament d’autres histoires de la vie. Celles des mauvais garçons que Joshua ne semble pas être, même s’il les côtoie, un petit peu, du bout des doigts Ce qui se confirme sur le Track 9. ” Un peu fou ” ne dérape pas vraiment, en tout cas pas comme le titre le présage. Il reste maîtrisé jusqu’à son dernier soubresaut. En conclusion, ” Compass ” est un vrai nouvel album au charme mathématique, qui ressemble beaucoup à ce musicien indéniablement talentueux et laisse sans voix sur sa dernière mesure, comme Joshua Redman sait si bien le faire en live. La claque est quasi-systématique. Ici, on la prend. Certes oui. Comme une tornade traverse votre salon sans n’en rien déplacer, mais vous laisse KO, sur le plancher. Une drôle de sensation.
Joshua Redman (tenor et soprano saxophones), Compass, avec Larry Grenadier (bass), Reuben Rogers (bass), Brian Blade (drums) et Gregory Hutchinson (drums), Nonesuch, 2009 Mais aussi Brian Blade, Mama Rosa, Verve Records, 2009
EN CONCERT LE 20 JUILLET A JUAN-LES-PINS – Pinède Gould
Fondatrice de LCV Magazine en 2009, la journaliste Karine Dessale a toujours souhaité qu’il soit un “média papier en ligne”, et la nuance veut tout dire. A savoir, un concept revendiqué de pages à manipuler comme nous le ferions avec un journal traditionnel, puis que nous laisserions traîner sur la table du salon, avant de nous y replonger un peu plus tard… Le meilleur compliment s’agissant de LCV ? Le laisser ouvert sur le bureau de son Mac ou de son PC, avec la B-O en fond sonore, qui s’écoule tranquillement…
Discussion about this post