Pour lutter contre le fléau du harcèlement scolaire, Agathe Lemaitre publie “Le Livre de Liane”. Un roman basé sur l’histoire de sa sœur qui s’est suicidée après en avoir été victime.
C’est un sujet qui est malheureusement toujours d’actualité. Dans le monde entier, 130.000 millions d’élèves âgés de 13 à 15 ans sont victimes de harcèlement scolaire. À l’échelle nationale, on estime que cela représente plus de 700.000 jeunes, soit 1 enfant sur 10. Parmi ces adolescents, certains décident de se suicider pour mettre un terme à ce qu’ils subissent. On pense notamment à Lucas, Marion ou encore Ambre, des prénoms qui nous sont tristement familiers. Derrière eux, des professeurs et des familles totalement démunis face à ce problème de société.
Pour sensibiliser la population sur ce sujet encore trop tabou, Agathe Lemaitre a publié “Le Livre de Liane” aux éditions Harper Collins. Ce roman est inspiré d’une histoire vraie : celle de sa petite sœur Diane, Liane dans le livre, victime de harcèlement scolaire. Cette dernière a mis fin à ses jours à l’âge de 21 ans. Page après page, Agathe remonte le fil de la tragédie en partageant des extraits du journal intime de sa sœur et des archives policières. Un ouvrage bouleversant écrit à quatre mains qui permet de mettre des mots sur ce que subissent encore trop de jeunes. Une façon de leur venir en aide et d’éviter que ce genre de situation ne se reproduise. Rencontre avec une jeune femme engagée contre ce fléau.
LCV Magazine : Comment décrivez-vous votre livre ?
Agathe Lemaitre : C’est un livre un peu particulier où je raconte simplement des choses qui sont arrivées à ma sœur, qui a été victime de harcèlement scolaire et qui s’est suicidée. C’est un ouvrage qui raconte son histoire, la mienne et l’enquête que j’ai réalisée pour comprendre ce qui l’avait poussé à passer à l’acte. Ce livre est assez authentique puisque je partage publiquement ce qui s’est passé, même si c’est un sujet tabou. Pourtant, le harcèlement scolaire touche 1 enfant sur 10 et quand ça commence, c’est un engrenage. Ma sœur a vécu du harcèlement scolaire, du harcèlement sexuel, du harcèlement de rue et du cyberharcèlement. Cette violence prend des proportions énormes parce qu’on n’a pas su l’arrêter au départ. Je tire donc une sonnette d’alarme pour sensibiliser sur ce sujet.
Il se compose d’extraits du journal intime de votre sœur.
Quand j’ai appris que je l’avais perdue, je me suis demandé comment c’était possible que quelqu’un qui aille bien et qui ne montrait aucun signe, décide de se suicider. Et puis j’ai découvert son journal intime. J’ai commencé à le lire, sans m’attendre à trouver quelque chose de particulier, et je suis tombée sur la spirale qu’elle a vécue. Je découvre toute une partie d’un monde que je ne connaissais pas.
C’est-à-dire ?
Quand j’en parle autour de moi, il y a plein de personnes qui m’expliquent qu’elles ont vécu du harcèlement scolaire et je me dis que je suis passée à côté de tellement de choses. J’aurais bien aimé qu’on me donne ces textes pour que je puisse comprendre, aider et avoir de l’empathie avec les personnes qui vivaient ça.
“Quand son harcèlement s’arrête, ce n’est pas le début de la libération”
Agathe Lemaitre
Pour découvrir la vérité, vous avez enquêté de votre côté.
Exactement. Je vivais à Singapour au moment où les faits se sont déroulés à Toulouse. Je raconte comment je suis parvenue à mener une enquête policière depuis l’étranger et comment j’ai réussi à percer le secret médical qui perdure même après le décès de la personne.
Justement, comment y êtes-vous parvenue ?
Lors de l’enterrement de ma sœur, j’ai rencontré des amies à elle qui m’ont dit que quelques jours avant le drame, elles avaient alerté les psychologues du centre où ma sœur était suivie. Sauf qu’ils n’ont rien fait. Je suis donc allée les voir en colère et ils ont évoqué le secret médical. Ce n’était pas trop dans leur intérêt d’expliquer pourquoi ils ont échoué à aider quelqu’un. Ce qui m’a permis de le contourner, c’est que ma sœur écrivait tous les dialogues qu’elle avait avec son psychologue : comment elle se sentait aux rendez-vous, à quel moment elle mentait, pourquoi elle le faisait, comment se tenait le spécialiste dans la salle, les couleurs des murs, le changement de praticien, ce qui se passait dans sa tête, etc… C’est ce qui m’a permis de “rentrer” dans la salle avec les psychologues.
Est-ce que le harcèlement de votre sœur s’est arrêté à un moment donné ?
Oui et c’est un truc que je trouvais très bizarre. Une fois son BAC en poche, elle arrive dans une université où personne ne connait son passé. Sauf qu’à ce moment-là, elle n’arrive pas à s’en remettre : elle a des phobies, n’arrive plus à dormir, ni à entrer dans une salle de cours. C’est là qu’on voit à quel point elle se retrouve seule. On se dit “pourquoi je n’arrive pas à tourner la page”. Si on a des séances d’information sur le harcèlement scolaire, on peut comprendre qu’il faut être bienveillant avec soi-même, accepter d’avoir été blessé et comprendre qu’il y a un temps de récupération. Mais si on ne l’explique jamais, comment le savoir ? Quand le harcèlement de ma sœur s’arrête, ce n’est pas le début de la libération sinon celui des moments difficiles. Et pour moi, c’est l’un des passages les plus durs de son journal intime.
Au cours de la lecture, on apprend qu’elle est allée déposer plainte mais qu’elle n’a pas été prise au sérieux. Pensez-vous qu’il y a un manque de formation des policiers ?
Bien sûr et j’ai même envie de dire qu’il y a un manque de formation de l’administration en général sur ce qu’est le harcèlement scolaire. C’est pour ça que je fais cette démarche de partager le journal intime de ma sœur. Quand on ne sait pas de quoi il s’agit ni ses conséquences, on va avoir du mal à croire les victimes.
Je reçois beaucoup de témoignages sur un compte Instagram qui s’appelle @Agatheenparle. Un jour, une victime m’a écrit un truc que je n’oublierai jamais. Elle m’a dit : “Je suis un peu enrobée et parce que je suis grosse, les gens se moquent de moi. Pendant les cours, ils me piquent avec une aiguille pour me faire dégonfler et ça fait des mois que ça dure”. Elle termine son message, que je trouve bouleversant, par : “Mais c’est pas si grave comparé à d’autres”. J’étais sans voix. En fait, on est tous pareils : on ne se considère pas comme des victimes. Donc si en allant déposer plainte, on se retrouve face à des policiers qui nous font sentir qu’on n’est pas légitime, on n’y arrivera jamais.
Souvent, les victimes de harcèlement scolaire ont appris à se taire, parce qu’elles ont peur d’être incomprises. Et le jour où ces mêmes personnes vivent des violences sexuelles, elles n’en parlent pas. Elles se disent que ça a déjà été tellement dur de porter plainte une première fois pour rien alors pourquoi y retourner ? Je pense qu’il y a aussi ce cliché de la femme qui se plaint. Sauf qu’on peut se revendiquer en tant que victime. C’est une façon de reprendre les rênes de la situation qu’on a subi et je trouve que c’est une position de force. Montrer qu’on a le courage et la force de se battre contre ce qu’on a vécu.
En parlant des réseaux sociaux, pensez-vous qu’ils amplifient le harcèlement ?
Oui et non. En fait, le tabou n’est pas de dire qu’on ne veut pas parler du harcèlement scolaire, puisqu’on en parle un peu sur tous les toits. C’est plutôt que les victimes préfèrent se taire. Souvent, elles vont se réfugier sur les réseaux sociaux pour en parler avec d’autres personnes. On peut y trouver du soutien, grâce aux nombreux comptes qui recueillent des témoignages par exemple. C’est une ressource qu’on n’avait pas avant et qui peut aider. Mais en même temps, il y a aussi le danger du cyberharcèlement où certaines personnes vont chercher à nous enfoncer. Et c’est un vrai fléau qu’on ne connaît pas encore assez bien.
Selon vous, que devrait mettre en place le gouvernement français pour lutter plus efficacement contre le harcèlement scolaire ?
Je vis à Copenhague en ce moment et il y a un truc qui fonctionne bien ici : ce sont les cours d’empathie donnés une fois par semaine. À partir de trois ans, tous les enfants qui vont à l’école apprennent les émotions, comment aider les autres, ce qu’on peut faire pour aller vers eux, etc… C’est tout bête, mais il y a beaucoup moins de harcèlement scolaire ici. Pourquoi ? Parce que chacun a appris à faire attention aux autres et à réagir. Je pense qu’avant de penser comment sensibiliser au harcèlement scolaire, ce serait déjà un bon début de parler d’empathie suffisamment tôt. Et je ne vois pas pourquoi en France ça ne fonctionnerait pas.
“En publiant ses textes, j’essaye d’accomplir son rêve de devenir écrivain.”
Agathe Lemaitre
Tous les passages de votre livre reflètent la réalité ?
Les prénoms et les dates ont été modifiés. Je dirais que le premier chapitre est complètement dans la réalité, le dernier est un petit peu plus dans la fiction et au milieu, c’est une transition. Il y a des moments où on ne peut pas forcément donner tous les détails comme par exemple les vols entre Singapour et Toulouse. Ce n’est pas vraiment du mensonge, mais plutôt une manière de coller avec les règles de littérature, de rendre la lecture plus fluide. Il faut savoir que ma sœur souhaitait devenir écrivain. Elle travaillait tous les jours pour ça et elle était douée. Je me dis qu’elle y était presque et que ses harceleurs ont tué son rêve. Donc en publiant ses textes, j’essaye de l’accomplir.
En voulez-vous à ses harceleurs ?
Pour moi, c’était des enfants ou des adolescents qui n’étaient pas encadrés. Souvent, les harceleurs reproduisent le modèle de ce qu’ils ont pu subir eux-mêmes. Je n’ai pas eu d’échanges avec eux et je ne cherche pas à faire la démarche de les voir. S’ils veulent “rattraper” ce qu’ils ont fait, je les encourage à aller aider les jeunes qui souffrent et éviter qu’une situation comme celle vécue par ma sœur ne se reproduise.
Souhaiteriez-vous voir votre ouvrage adapté à l’écran ?
J’ai reçu des offres d’adaptations audiovisuelles. Comme mon projet est assez personnel et sincère, je ne veux pas que ça devienne quelque chose de commercial. Je veux vraiment garder ce projet de sensibilisation et conserver cet aspect d’enquête. Avec mes agents, il faut qu’on prenne le temps de trouver la personne qui saura avoir la bonne approche.
- Agathe Lemaitre, Le Livre de Liane, Éditions Harper Collins, 2023, 19 euros
Si vous êtes victimes de harcèlement scolaire, parlez-en au numéro d’urgence national : 3020
En cas de cyberharcèlement, parlez en au numéro d’urgence national : 3018
Journaliste plurimédia, Camille Sanchez a un attachement à l’univers de la gastronomie. À l’affût des nouvelles adresses et des tendances food, elle aime vous faire découvrir les produits de nos régions et ses producteurs. Ayant plusieurs cordes à son arc, elle vous propose également des plongées dans les festivals de musique, des focus sur des séries télé et des expositions mais vous invite aussi à découvrir la pelote basque. Une véritable touche-à-tout !
Discussion about this post