Dix ans déjà que sa cuisine séduit les plus gourmets et que son restaurant est une des adresses les plus en vue de la capitale. Inspirée tant par ses voyages en Asie que par l’art moderne, la signature de William Ledeuil est d’abord visuelle. Dans l’assiette, une explosion de parfums, puis de saveurs, sa cuisine ultra saine fourmille d’ingrédients en provenance directe du Japon et de Thaïlande. Cette cuisine sous influences, empreinte d’émotions, de parfums et d’authenticité, a su se débarrasser des saintes règles de la gastronomie française sans en perdre la superbe. Et pour partager davantage encore toutes ses émotions, le chef sort “Ze Kitchen Galerie”, un livre à acheter absolument… pour découvrir les goûts d’un cuisinier voyageur expert en mariages mixtes !
S’il fallait qualifier votre cuisine, serait-elle française, asiatique ou fusion ?
William Ledeuil : Je me considère comme un chef français qui tire parti d’ingrédients venus d’ailleurs. La cuisine japonaise, proche de la nature, est pour moi la cuisine du futur. Elle utilise peu de matières grasses et beaucoup d’herbes. C’est pour cela que j’ai remplacé les sauces par des jus, très savoureux et beaucoup plus sains. Je pense que chaque cuisinier doit faire avec la richesse locale et celle de Paris, c’est le monde ! Je ne dénature rien, et surtout pas la cuisine française. Certains parlent de l’inscrire au patrimoine de l’humanité, mais ce serait prendre le risque de la figer alors qu’il faut justement qu’elle continue d’évoluer.
Quel regard portez vous sur les 10 ans de votre restaurant « Ze Kitchen Galerie » ?
Ce sont pour moi 10 années d’apprentissage. L’ouverture de ce restaurant fut pour moi un virage non seulement dans ma manière d’appréhender la cuisine, mais aussi dans la façon d’aborder le restaurant. Ce sont également 10 ans d’apprentissage car mes voyages m’ont permis de découvrir des choses nouvelles, de nouveaux regards sur la cuisine et de nouvelles saveurs aussi qui m’ont permis de donner ce fil conducteur de « Ze Kitchen Galerie ».
On parle souvent « d’épices » lorsqu’on parle de votre cuisine, pourtant il me semble que ce sont davantage des condiments que vous utilisez, est-ce exact ?
Vous avez raison, nous utilisons en fait très peu d’épices à l’exception des poivres et de la cardamone, auxquelles nous préférons les « racines » telles le gingembre, le galanga, le curcuma, la citronnelle et beaucoup d’herbes aussi. J’aime la fraicheur, le piquant et une pointe acide qu’apportent ces ingrédients dans la cuisine. C’est pourquoi le condiment est important, tout comme l’utilisation de fruits telle la mangue, il vient donner le relief au plat.
Qu’est-ce que le goût pour vous ?
Le goût est une mise en scène de tous les sens. L’ouïe est certes le plus difficile à faire participer, mais un plat doit parler à tous les sens : la vue d’abord, bien sûr, puis l’odeur, enfin la saveur et si possible le toucher. La couleur, c’est déjà une humeur, un état d’esprit. La vue conditionne le goût : quelque part, on a déjà mangé lorsque l’assiette arrive sur table !
Vous parlez souvent de couleur du goût ?
Le premier sens en éveil chez un cuisinier, mais aussi chez un client, c’est l’œil. On commence à cuisiner avec les yeux, voir de jolis produits avec de jolies couleurs et de jolies formes, voilà ce qui va nous inspirer. La couleur induit également le produit… Voilà pourquoi je parle de couleur du goût.
Un goût dont vous ne pourriez vous passer ?
Celui de la citronnelle, omniprésente et indispensable à ma cuisine, dans les plats et dans les desserts.
Un goût inconnu auquel vous aimeriez goûter ?
Difficile… Tant il y a de saveurs auxquelles j’aimerais goûter. Ce qu’il faut comprendre, c’est que les produits ont un goût différent selon l’endroit où on les déguste et sont à leur meilleur sur leur terroir. L’idéal serait donc de connaître les richesses et les produits de tous les pays du monde… mais en les dégustant là où ils naissent.
C’est semble-t-il votre passion pour l’art qui a donné son nom a votre restaurant, mais l’art est-il également une source d’inspiration pour votre cuisine ?
C’est indéniable. Mais il n’y a pas que l’art qui m’inspire, mon environnement tout entier fait évoluer ma cuisine, et qui l’enrichit en permanence. Cela passe par des voyages à la découverte d’autres cultures, le respect de l’environnement et l’intérêt pour l’art. Surtout l’art contemporain, qui correspond le mieux à ma sensibilité.
Quel est pour vous le lien entre art et gastronomie ?
L’œil est un point commun entre art et gastronomie. En côtoyant des artistes, j’ai découvert que nous avions des systèmes de fonctionnement similaires. Les artistes aussi se nourrissent de ce qui les entoure et cela me rappelle que nous devons rester très ouverts. Les artistes ont une palette de couleurs, nous avons une palette de saveurs colorées. Les deux sont des moyens d’expression. Quant à la différence entre les deux, si vous me le permettez, je dirais que les cuisiniers sont des artisans et les artistes… des artistes !
Il a fallu sept ans pour recevoir votre premier macaron au Michelin, cela vous a-t-il semblé injuste ?
Non, c’est ainsi. Cela ne faisait pas partie de mes objectifs, même si par la suite j’ai pris conscience de l’importance que cela pouvait avoir notamment pour les gens qui travaillent avec moi. Je ne cuisine pas pour être étoilé, mais pour satisfaire mes clients, voilà ma plus belle récompense… Mon envie, c’est avant tout de pouvoir changer ma carte aussi souvent que je le souhaite et de continuer à rencontrer des gens qui me font découvrir des produits un peu confidentiels.
Cette distinction a-t-elle modifié votre approche de la gastronomie ?
En aucun cas non ! Je défends avant tout mon point de vue et même si je suis fier de mon étoile, mon objectif n’est pas là ! Mais de faire évoluer ma cuisine.
Propos recueillis par Carole Schmitz.
Ze Kitchen Galerie
4, rue des Grands-Augustins – 75006 Paris
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