Correspondant à New-York pour Le Figaro notamment, et spécialiste des États-Unis, Maurin Picard signe Le Manoir, un ouvrage passionnant, dédié à la Maison Blanche, une vieille dame de 220 ans. Incarnation, – selon lui -, d’un pouvoir détesté et fascinant. En pleine actualité de la couverture journalistique de sa troisième élection présidentielle outre-Atlantique, dont on sait l’effervescence, l’auteur livre ici une épopée historique qui vous prend par la main et ne vous lâche plus. Un récit précieux en ces temps bousculés, pour un voyage depuis les dernières vicissitudes du président Trump “peu respectueux des institutions”, jusqu’aux frasques hilarantes des enfants de Roosevelt, en passant par les délibérations interminables dans le bureau ovale, et l’hommage le plus émouvant à cette demeure, celui de Michelle Obama. A lire absolument.
LCV Magazine : Que dit selon vous, la Maison Blanche des américains d’aujourd’hui ? Est-elle devenue une “vieille dame” épuisée par les bêtises de ses descendants ?
Maurin Picard : La Maison Blanche n’est pas à un paradoxe près : elle incarne ce pouvoir exécutif distant que honnissent les Américains, mais elle fascine tout autant. Avant la pandémie actuelle, elle accueillait des millions de visiteurs par an, curieux de découvrir la « rénovation Kennedy » de 1961, le cabinet Lincoln et, bien sûr, avec l’espoir de tomber par hasard sur le président des Etats-Unis au détour d’un couloir. La vieille dame a toujours fière allure après 220 ans d’existence officielle, ce qui la place chronologiquement avant Buckingham Palace, où les monarques britanniques ne s’installèrent qu’en 1837. Elle subit de constantes rénovations, ainsi qu’en témoignent les mystérieux et imposants travaux souterrains effectués en 2012. Aucun journaliste n’a pu y accéder depuis, mais on devine que l’expérience du 11-Septembre a accéléré la prise de conscience à Washington de la nécessité de disposer d’un complexe opérationnel digne de ce nom, où les présidents puissent s’abriter et gouverner de manière prolonger en cas de péril. Nous ne voyons de l’extérieur que la partie émergée de l’iceberg !
LCV Magazine : En allant un peu plus loin, est-ce qu’elle constitue le dernier rempart au déclin d’une civilisation ?
Maurin Picard : La question est pertinente, à l’heure où on enregistre un reflux marqué du soft et du hard power des Etats-Unis dans le monde. La Maison Blanche à l’ère de Trump symbolise un pouvoir en repli, qui dénigre les alliances internationales et prône un protectionnisme qui lui aliène les vieux alliés de l’Amérique, fût-ce le Canada, le Mexique ou l’Europe occidentale. Depuis le premier président moderne, Theodore Roosevelt (1901-1909), elle incarne un siècle durant l’essence du pouvoir absolu, le coeur de la première puissance mondiale. Au point qu’il n’existe aujourd’hui aucun lieu équivalent au Bureau ovale, où les délibérations attisent une curiosité insatiable depuis les écoutes de Richard Nixon et l’affaire du Watergate (1972-1974). Redeviendrait-il ce lieu fascinant avec une présidence Biden ? A bien y regarder, cependant, les vicissitudes de la présidence Trump et la relation orageuse de ce dirigeant en lutte constante avec la presse ont conduit à un regain d’intérêt pour les passions internes, les dissensions, les coups bas au sein de cette Administration abonnée au chaos perpétuel.
LCV Magazine : Vous parlez d’Histoire et des histoires à la White House, mais n’est-ce pas la matière structurelle de tout pouvoir quel qu’il soit : toujours de petites histoires qui nourrissent la grande ?
Maurin Picard : Les coulisses de la Maison Blanche, parfois méconnues, nous éclairent sur la grande histoire, et le contexte dans lequel furent prises des décisions historiques ou survinrent des tragédies célèbres. John Wilkes Boothe, le meurtrier d’Abraham Lincoln, avait assisté à un discours de celui-ci dans les jardins de la Maison Blanche et c’est ce soir-là, en écoutant Lincoln parler du droit de vote pour les soldats noirs de l’Union, qu’il prit sa décision d’assassiner le vainqueur de la guerre de Sécession. La personnalité d’une Première dame, Edith Wilson, nous éclaire également sur le rejet du Traité de Versailles et de la Société des Nations en 1920 par le Sénat. Victime d’une foudroyante attaque vasculaire-cérébrale, son mari, le président Woodrow Wilson tint la chambre pendant des mois. Edith en barra l’accès aux élus démocrates et aux ministres du gouvernement, interdisant toute mention du Traité de Versailles, de peur d’irriter le patient frappé de paralysie partielle. Ce faisant, toutes les négociations pour la ratification du traité échouèrent. Les conséquences de ce rejet furent tragiques pour la politique internationale et la montée des régimes autoritaires en Italie, au Japon, puis en Allemagne, face à des Etats-Unis repliés sur eux-mêmes. La similtude est évidemment frappante avec la politique actuelle de l’Administration Trump.
LCV Magazine : Quelles anecdotes retiendrez vous de l’écriture de cet ouvrage ? Les plus marquantes, choquantes, cocasses… ?
Maurin Picard : Ma plus grande surprise, lors de mes recherches, fut de découvrir l’étendue des drames intimes, des incidents graves qui s’y sont déroulés. On imagine toujours les complots et les intrigues des puissants, mais on mesure mal la somme de tragédies et de malheurs survenus entre ces murs. Il y a le terrible premier hiver d’Abigail et John Adams en 1800-1801, seuls, ou presque, dans une bâtisse inachevée, mal chauffée, à peine meublée. L’histoire d’amour entre les Américains et le marquis de Lafayette, héros de la guerre d’indépendance, qui tint à revenir deux fois au 1600 Pennsylvania Avenue lors de son sixième et dernier séjour outre-Atlantique en 1824-1825, pour rendre hommage à son grand ami George Washington, décédé en 1799 sans avoir vu la bâtisse terminée. On pourrait citer aussi le double mandat d’Andrew Jackson, entre 1829 et 1837, où les citoyens pouvaient entrer à la Maison Blanche comme dans un moulin, les frasques hilarantes des enfants de Roosevelt, et le séjour prolongé de Winston Churchill à Noël 1941, avec ses discours mémorables, ses nuits blanches et ses repas pantagruéliques.
LCV Magazine : Quels faits historiques ? Quel regard posé par ses “invités” sur leurs séjours prolongés : celui de Michelle Obama peut-être ?
Maurin Picard : Parmi les occupants de la « résidence exécutive », il existe deux grandes catégories : ceux qui s’y sont plu, au point d’avoir du mal à la quitter, comme ce fut le cas par exemple de Teddy Roosevelt en 1909 et George H. Bush (père) en 1993, et ceux qui vécurent leur séjour comme une réclusion, à l’instar de Harry Truman qui évoquait une grande et sinistre « prison blanche ». Quant à Donald Trump, on le sait, il n’aime pas le bâtiment et passe l’essentiel de son temps dans ses appartements privés, où il a fait installer plusieurs écrans géants pour regarder la télévision en boucle et dont il ne descend jamais avant 11 heures du matin, après avoir tweeté une partie de la nuit.
Michelle Obama est probablement celle qui a rendu le plus bel hommage à cette demeure, en évoquant dans ses mémoires le sort des esclaves qui l’érigèrent de 1792 à 1800, et en décrivant, émue, ses propres filles jouant sur la pelouse d’un lieu aussi marqué d’histoire. On attend de découvrir les souvenirs de son mari Barack, dont les mémoires très attendues seront publiées en novembre, juste après l’élection présidentielle.
LCV Magazine : Cette Amérique, que l’on connaît si protocolaire, semble parfois ne rien retenir du passé, n’en rien apprendre… Pourtant, la White House porte une symbolique si dense. Pourquoi vous est-il si précieux d’accomplir ce devoir de mémoire ?
Maurin Picard : Avec un président des Etats-Unis peu respectueux des institutions, à l’heure où la démocratie américaine s’avère plus fragile qu’on aurait pu imaginé, cette plongée dans le temps nous permet d’évoquer le legs des plus grands présidents de l’histoire des Etats-Unis, et la préservation sourcilleuse de l’équilibre des pouvoirs sous leur règne. Avant Donald Trump, la Maison Blanche était un lieu de compromis, le Bureau ovale ouvert aux représentants de l’opposition parlementaire. A l’exception notable de Woodrow Wilson, injoignable durant sa longue convalescence pour les leaders républicains opposés au traité de Versailles, on se souvient de la relation privilégiée entre le président Ronald Reagan, dans les années 1980, avec le speaker démocrate de la chambre des représentants, Tip O’Neill. Tellement d’histoires que je voulais vraiment raconter.
Propos recueillis par Karine Dessale
Le Manoir, Histoire et histoires de la Maison-Blanche, de Maurin Picard chez Perrin.
Fondatrice de LCV Magazine en 2009, la journaliste Karine Dessale a toujours souhaité qu’il soit un “média papier en ligne”, et la nuance veut tout dire. A savoir, un concept revendiqué de pages à manipuler comme nous le ferions avec un journal traditionnel, puis que nous laisserions traîner sur la table du salon, avant de nous y replonger un peu plus tard… Le meilleur compliment s’agissant de LCV ? Le laisser ouvert sur le bureau de son Mac ou de son PC, avec la B-O en fond sonore, qui s’écoule tranquillement…
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