Dans les deux épisodes du téléfilm Une femme de Confiance (Arte), Dominic West, le comédien britannique surdoué signait en 2011, avec le rôle d’un tueur en série, une interprétation extrêmement troublante. Avec sa partenaire de jeu Emily Watson, la substance de leur relation est filmée comme le feu sous la braise, dans la grisaille plombante et humide de Gloucester, une ville au sud-ouest de l’Angleterre. À voir absolument.
En 1994, à Gloucester, Janet Leach (Emily Watson) est convoquée par la police dès la fin de sa formation de travailleuse sociale, pour assister un prévenu dans le cadre d’une affaire qui défraie la chronique. Pas n’importe laquelle, puisqu’il s’avère qu’elle atteint un haut niveau de barbarie. Les autorités le soupçonnent de ce qui ressemble à des meurtres en série, dont celui d’une de ses filles. Janet, qui est mère de famille, l’accompagne tout au long de la procédure, et encaisse la description des homicides comme des uppercuts dans son petit visage sans coquetterie.
La fiction suit ses allers et retours, entre les locaux de la police, et ses soirées au sein de son foyer, auprès de ses quatre enfants et de son mari aimant, mais instable. On le découvrira plus tard. Et de son assistance qui aurait pu être seulement administrative et banale, surgissent peu à peu des éclairs d’humanité. Ils s’installent, finement épinglés dans les échanges au fond des yeux et cette manière dont Dominic West la cherche systématiquement du regard avant de se raconter aux policiers. Comme s’ils se connaissaient depuis toujours, et qu’elle était son roc ou son âme sœur.
Dominic West et les autres
Il y a plus d’une décennie, la série Une femme de confiance avait donné au réalisateur Julian Jarrold, l’opportunité de mettre en lumière l’incroyable niveau de jeu du monument West. Car il faut bien l’admettre, il y a des acteurs, et de l’autre côté, il y a ce comédien au regard pénétrant, et à la mâchoire carnassière, immense et charnel, avec sa capacité à s’emparer de personnalités multiples, puis de broder un costume en dentelle qui lui colle à la peau dessus, jusqu’à en devenir indissociable.
À l’instar du personnage d’un inspecteur alcoolique et dragueur à la petite semaine, qui l’a perché sur l’orbite de la notoriété planétaire, dans The Wire (HBO, 2022), il y a plus de 15 ans; ou celui plus récent d’un homme (pas aussi simplement) infidèle dans The Affair (Showtime, 2014); cet acteur star de The Crown (Netflix) est un millefeuilles émotionnel, et son jeu crépite d’intentions impalpables, à chaque seconde de l’image.
Manipulateur en série dans Une femme de confiance
Aussi, il parvient à donner des airs ballots à cet homme qui se joue des enquêteurs, oublie à quelques mètres près où sont enfouis les corps de ses proies, ou celles de sa femme, jalouse peut-être, le saura-t-on ? Il invoque les voix, des intuitions. “Je sens qu’elle me parle”, sursaute-t-il avant de désigner le coin de terre d’où l’on déterrera une autre femme massacrée. De la manipulation brute et épaisse, qui dans cette relation importune entre lui et cette “Appropriate Adult”, garante d’une procédure respectueuse de ses droits, retournera la situation malgré les warnings qui tintent dans l’esprit de cette femme simple, dont on comprend l’élan citoyen sincère au départ.
Les bonnes intentions ont parfois la vie dure, n’est-ce pas ? Un autre fil de la démonstration à apprécier dans cette mini-série – car la matière du scénario est épaisse -, interpelle la fragilité des sensibles qui voient en l’autre toujours un éclat, et se jettent dans la gueule du loup. Personnalité entière et sincère, versus couple monstrueux et retors, complice à la vie à la mort, qui ne ressent aucun remord. Qui gagne à la fin ? Ceux qui renoncent ou s’obstinent, ceux qui appréhendent les autres comme des objets ou ceux qui les respectent jusqu’au bout de leur barbarie ? C’est un coup de cœur, vous l’aurez compris.
Fondatrice de LCV Magazine en 2009, la journaliste Karine Dessale a toujours souhaité qu’il soit un “média papier en ligne”, et la nuance veut tout dire. A savoir, un concept revendiqué de pages à manipuler comme nous le ferions avec un journal traditionnel, puis que nous laisserions traîner sur la table du salon, avant de nous y replonger un peu plus tard… Le meilleur compliment s’agissant de LCV ? Le laisser ouvert sur le bureau de son Mac ou de son PC, avec la B-O en fond sonore, qui s’écoule tranquillement…