Le château bordelais, situé en appellation Pessac-Léognan, poursuit son dialogue entre vin et création contemporaine en confiant cette année la cuve n°14 à Rebeb, figure montante de la scène urbaine. Une œuvre organique et spirituelle, visible au cœur même du chai conçu par Philippe Starck.
Chaque été depuis 2017, le Château Les Carmes Haut-Brion transforme l’un de ses une partie de son chai en galerie à ciel clos. Un lieu où l’art n’habille pas le vin : il l’habite. Pour l’édition 2025 de son programme « L’Art aux Carmes », le château a offert carte blanche à Rebeb, artiste muraliste dont les portraits monochromes habillent régulièrement les murs du paysage urbain parisien.
Aux Carmes, c’est une autre surface qui lui a été confiée : la cuve n°14, cylindre de béton brut situé dans l’étonnant chai imaginé en 2016 par l’architecte Luc Arsène-Henry, avec le concours du designer Philippe Starck. Rebeb y signe une œuvre intitulée Le regard de Gaïa, une fresque en noir et blanc inspirée de la terre nourricière, de ses énergies invisibles et de la lente gestation d’un millésime.

Le vin comme matière artistique
« Ce millésime est une odyssée dans l’intimité du terroir« , explique l’artiste. Rebeb, actif depuis 2012, est représenté par Ki Galerie, référence parisienne en matière d’art urbain et contemporain. Habitué des grandes fresques en milieu urbain, il transpose ici son regard sur la peau d’un récipient destiné à la vinification, pour un geste artistique aussi audacieux que silencieux. L’œuvre, pensée comme un triptyque invisible — communion avec la terre, avec soi, avec les autres — sera également reprise sur les contre-étiquettes des bouteilles du millésime 2023. Une manière de prolonger l’expérience artistique jusqu’à la table, et d’offrir à chaque bouteille une part d’âme.
Quand le chai devient lieu d’exposition
Le Château Les Carmes Haut-Brion, propriété du groupe Pichet depuis 2010, cultive depuis ses débuts une posture singulière dans le paysage bordelais. À la fois château historique et laboratoire esthétique, il est l’un des rares crus à se situer au cœur même de Bordeaux, en appellation Pessac-Léognan, protégé par un clos arboré comme suspendu au-dessus du tumulte urbain.
Son chai, entièrement repensé il y a moins de dix ans, n’émerge pas de la terre, mais de l’eau, tel un navire amarré au milieu des vignes. Il incarne une philosophie : celle d’un vin pensé comme une œuvre d’auteur, où la forme influence le fond. Vinifications en grappes entières, choix de matériaux variés (amphores, grès, foudres), cuves sur-mesure : ici, chaque décision est esthétique autant qu’œnologique. Dans ce contexte, l’initiative « L’Art aux Carmes », lancée par Patrice Pichet, prend tout son sens. Chaque millésime devient une pièce d’une collection qui interroge notre rapport au temps, à la matière et à la mémoire. Depuis la première œuvre signée par Ara Starck (millésime 2015), le programme a accueilli des artistes aussi divers que le surréaliste espagnol Sergio Mora, le street-artiste Beniloys, la dessinatrice Christelle Téa ou encore Maaya Wakasugi, entre calligraphie japonaise et abstraction européenne.

Une collection d’art… vinifiée
Ce qui distingue le Château Les Carmes Haut-Brion, ce n’est pas uniquement la qualité de ses vins ou la beauté de son chai, c’est la cohérence d’une vision où l’art irrigue chaque geste. En confiant ses cuves à des artistes contemporains, le château invite à une autre forme de dégustation : une lecture sensible, intuitive, émotionnelle. « Chaque œuvre devient une mémoire du millésime », résume Guillaume Pouthier, directeur du château. Une mémoire qui s’imprime autant dans le verre que sur le béton, comme un palimpseste de saveurs, de gestes et de regards.
Rebeb signe ici bien plus qu’une fresque : une expérience totale, où le regard du visiteur s’accorde au silence du vin en gestation. Une œuvre à découvrir, in situ, pour mesurer à quel point l’art et le vin, lorsqu’ils sont bien cultivés, savent encore émouvoir.


